Nos avocats CEDH à Strasbourg introduisent plusieurs dizaines de dossiers par an devant la Cour européenne des droits de l’Homme.
Des décisions de recevabilité de la Cour européenne des droits de l’Homme dans lesquels nos avocats sont intervenus sont reproduites ci-contre, pour illustrer la façon dont la CEDH rédige l’exposé des faits qu’elle adresse ensuite au gouvernement défendeur.
L’exposé des faits de la CEDH est document public et non-confidentiel, dont la plupart sont publiés sur le site de la Cour européenne des droits de l’Homme.
Seules les décisions de la Cour européenne des droits de l’Homme en français sont mises en ligne ici pour des raisons de cohérence linguistique.
Ces décisions sont également anonymisées, contrairement au site de la CEDH qui les diffuse sans anonymisation.
Vous trouverez des exposé des faits relatifs au :
- droit au respect de la vie privée (article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme)
- droit au respect de la vie familiale (article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme)
- droit à la protection des données personnelles (article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme)
Exposé des faits : vie privée
PREMIÈRE SECTION Requête no 1785/08 présentée par A* F* V** F**contre la Suisse le 4 janvier 2008
Représenté par Maître Christophe MEYER – Avocat
EXPOSÉ DES FAITS
EN FAIT
Le requérant, M. A* F* V** F**, est un ressortissant péruvien, né en 1965 et qui résidait, avant son départ de Suisse, à Genève. Il est représenté devant la CEDH par Me Christophe Meyer, avocat à Strasbourg.
A. Les circonstances de l’espèce
Le requérant épousa, le 21 juin 1992, une ressortissante suisse, M.H. Il fut alors mis au bénéfice d’un titre de séjour régulièrement renouvelé. En 1995, il fit l’objet de poursuites pénales pour viol et contrainte sexuelle. La procédure fut classée, faute de charges suffisantes, par le Procureur général du canton de Genève, le 1er septembre 1995. Par ordonnance du 24 novembre 1995, la chambre d’accusation du canton de Genève confirma la décision de classement. Le tribunal de première instance du canton de Genève prononça, le 21 mars 1999, le divorce du requérant d’avec M.H. Par jugement du 5 juillet 2000, le tribunal correctionnel de Rolle condamna le requérant à vingt mois d’emprisonnement ferme, et à dix ans d’expulsion pour acte d’ordre sexuel commis sur une personne incapable de résistance et abus de détresse. L’expulsion fut toutefois assortie du sursis pendant cinq ans. Sur pourvoi du parquet, la cour de cassation pénale du canton de Vaud porta la peine d’emprisonnement à trois ans, confirmant le jugement pour le surplus. A une date indéterminée, le requérant fut incarcéré pour purger sa peine.
Par arrêté du 28 octobre 2002, le département de justice, de la police et de la sécurité du canton de Genève prononça l’expulsion du requérant pour une durée indéterminée. Le requérant saisit la commission cantonale de recours de la police des étrangers (ci-après : la commission de recours). L’instruction du recours fut suspendue. Le requérant fut mis au bénéfice de la libération conditionnelle dès le 1er décembre 2002. Le 5 avril 2003, le requérant épousa une ressortissante binationale, suisse et allemande, A.V.K. Cette dernière resta cependant en Allemagne le temps d’achever sa formation, le requérant demeurant à Genève. Le requérant et son épouse vécurent ensemble à Genève dès le début de l’année 2005. Le requérant demanda en vain à l’Office cantonal de la population de lui délivrer un titre de séjour. Face au refus de l’administration, le requérant saisit à nouveau la commission de recours. Celle-ci joignit son recours avec celui qu’il avait précédemment interjeté et le débouta par décision du 19 mai 2005. Le requérant recourut alors devant le Tribunal fédéral. Son recours fut admis par arrêt du 9 janvier 2006. Le Tribunal fédéral retint que l’accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse et la Communauté européenne sur la libre circulation des personnes était seul applicable en l’espèce et qu’il y avait lieu de renvoyer la cause à la commission de recours pour qu’elle vérifie si le refus du titre de séjour et l’expulsion étaient compatibles avec l’accord international précité. Le requérant fit de nouveau l’objet de poursuites pénales en décembre 2006 pour contrainte sexuelle. Par décision du 7 février 2007, le Procureur général du canton de Genève classa la procédure faute de charges suffisantes. Par décision du 14 février 2007, la commission de recours rejeta à nouveau les deux recours interjetés par le requérant contre son expulsion et contre le refus de lui octroyer un titre de séjour. Le requérant saisit le Tribunal fédéral qui le débouta par arrêt du 25 juin 2007. La juridiction considéra que : « Le requérant a, par son comportement au mois de décembre 2006, levé tous les doutes que l’on pouvait avoir au sujet de sa prise de conscience de la gravité des actes qu’il avait commis autrefois et de l’efficacité du suivi psychiatrique dont il a bénéficié, déjà en détention et jusqu’à la fin du délai d’épreuve de quatre ans fixé lors de sa libération conditionnelle, soit jusqu’à fin décembre 2006. La condamnation à trois ans de réclusion pour actes d’ordre sexuel sur une personne incapable de discernement faisait déjà suite à une procédure pénale pour viol et contrainte sexuelle, classée faute de charges suffisantes en 1995. Le fait que la plainte du 16 décembre 2006 pour contrainte sexuelle, ait également été classée le 7 février 2007 ne permet pas d’en conclure que le recourant ne présente pas une menace pour l’ordre public. (…) Au demeurant, contrairement à ce qu’il soutient devant le Tribunal fédéral, il n’est pas pertinent, pour retenir l’existence d’un risque de récidive, que la nouvelle plainte pénale a été classée, dès lors que le comportement personnel de l’intéressé peut également réaliser les conditions d’une menace actuelle (…)»
Le requérant allègue que l’avocat qui le représentait a reçu l’arrêt du Tribunal fédéral le 8 juillet 2007. Le requérant quitta le territoire suisse le 8 février 2008.
B. Le droit international et interne pertinents
1. L’annexe I à l’accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse et la Communauté européenne sur la libre circulation des personnes
Article 3 – Membres de la famille
« 1. Les membres de la famille d’une personne ressortissant d’une partie contractante ayant un droit de séjour ont le droit de s’installer avec elle. Le travailleur salarié doit disposer d’un logement pour sa famille considéré comme normal pour les travailleurs nationaux salariés dans la région où il est employé sans que cette disposition puisse entraîner de discriminations entre les travailleurs nationaux et les travailleurs en provenance de l’autre partie contractante.
2. Sont considérés comme membres de la famille, quelle que soit leur nationalité:
a. son conjoint et leurs descendants de moins de 21 ans ou à charge ;
(…) »
Article 5 – Ordre public
« 1. Les droits octroyés par les dispositions du présent accord ne peuvent être limités que par des mesures justifiées par des raisons d’ordre public, de sécurité publique et de santé publique.
(…) »
2. La loi fédérale sur le séjour et l’établissement des étrangers du 26 mars 1931
Article 10
« 1. L’étranger ne peut être expulsé de Suisse ou d’un canton que pour les motifs suivants:
a. s’il a été condamné par une autorité judiciaire pour crime ou délit;
b. si sa conduite, dans son ensemble, et ses actes permettent de conclure qu’il ne veut pas s’adapter à l’ordre établi dans le pays qui lui offre l’hospitalité ou qu’il n’en est pas capable
(…)
4. La présente loi ne touche en rien à l’expulsion, prévue par la Constitution, des étrangers qui compromettent la sûreté intérieure ou extérieure de la Suisse, ni à l’expulsion prononcée par le juge pénal. »
3. Le code pénal suisse du 21 décembre 1937
Article 55 – Expulsion (abrogé le 1er janvier 2007)
« 1. Le juge pourra expulser du territoire suisse, pour une durée de trois à quinze ans, tout étranger condamné à la réclusion ou à l’emprisonnement. En cas de récidive l’expulsion pourra être prononcée à vie.
2. L’autorité compétente décidera si, et à quelles conditions, l’expulsion du condamné libéré conditionnellement doit être différée à titre d’essai.
3. Si le condamné libéré conditionnellement s’est bien conduit jusqu’à la fin du délai d’épreuve, l’expulsion qui avait été différée ne sera plus exécutée. Lorsque l’expulsion n’avait pas été différée, sa durée courra du jour où le condamné libéré conditionnellement a quitté la Suisse.
(…) »
Article 189 – Contrainte sexuelle
« 1. Celui qui, notamment en usant de menace ou de violence envers une personne, en exerçant sur elle des pressions d’ordre psychique ou en la mettant hors d’état de résister l’aura contrainte à subir un acte analogue à l’acte sexuel ou un autre acte d’ordre sexuel, sera puni d’une peine privative de liberté de dix ans au plus ou d’une peine pécuniaire.
(…) »
Article 191 – Acte d’ordre sexuel commis sur une personne incapable de discernement ou de résistance
« Celui qui, sachant qu’une personne est incapable de discernement ou de résistance, en aura profité pour commettre sur elle l’acte sexuel, un acte analogue ou un autre acte d’ordre sexuel, sera puni d’une peine privative de liberté de dix ans au plus ou d’une peine pécuniaire. »
Article 193 – Abus de détresse
«1. Celui qui, profitant de la détresse où se trouve la victime ou d’un lien de dépendance fondé sur des rapports de travail ou d’un lien de dépendance de toute autre nature, aura déterminé celle-ci à commettre ou à subir un acte d’ordre sexuel sera puni d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire.
(…) »
GRIEFS
Invoquant les articles 1, 6 § 2, 7 et 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme, le requérant soutient que le refus de lui octroyer un titre de séjour et la décision de l’expulser portent atteinte au droit au respect de sa vie privée et familiale et violent la présomption d’innocence.
QUESTION AUX PARTIES
Y a-t-il eu violation du droit du requérant au respect de sa vie privée et familiale au sens de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme ?
Exposé des faits : vie familiale
CINQUIEME SECTION Requête n°2260/10 présentée par D* T*M* contre la France le 29 décembre 2009
Représenté par Maître Christophe MEYER – Avocat
EXPOSÉ DES FAITS
EN FAIT
Le requérant, M. D* T**-M**, est un ressortissant congolais, né en 1970 et résidant à Lodève. Il est représenté devant la Cour européenne des droits de l’Homme par Me Christophe Meyer, avocat à Strasbourg.
A. Les circonstances de l’espèce
Le requérant a été reconnu réfugié de nationalité congolaise sous le mandat du Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés au Cameroun. L’attestation de réfugié qui lui fut délivrée le 23 décembre 2002 précisait qu’elle était valable jusqu’au 31 décembre 2004. Elle précisait également que le requérant était accompagné de son épouse, porteuse d’une attestation de réfugié, et de ses enfants (X, née le 28 décembre 1994 à Bukavu en République démocratique du Congo, et Y, née le 4 juin 2001 au Cameroun). Un troisième enfant du couple, Z, naquit le 3 septembre 2004 à Yaoundé. Le requérant ne le vit pas naître car il quitta le Cameroun pour venir demander l’asile en France.
Entré en France en février 2004, il obtint le statut de réfugié par une décision de la Commission des recours des réfugiés (CRR) du 8 février 2007.
Le 30 avril 2007, l’OFPRA lui délivra un certificat de naissance, de mariage ainsi qu’un livret de famille tenant lieu d’actes d’état civil. La préfecture de l’Hérault lui délivra dans le même temps une carte de résident de dix ans.
Par courrier du 20 juin 2007, le requérant sollicita au titre du regroupement familial des visas de long séjour au profit de sa femme et de ses trois enfants. Par courrier du 28 juin 2007, le ministère des Affaires étrangères informa le requérant qu’il allait prendre attache avec l’OFPRA pour vérifier la composition familiale avant de saisir les services consulaires français à Yaoundé en vue de la constitution d’un dossier de demande de visa de long séjour par les membres de sa famille. Il précisa que dans le cas où l’authentification des actes d’état civil s’avérerait nécessaire, l’instruction de la demande de visa pourrait impliquer des délais supplémentaires.
Par courrier du 13 février 2008, la sous direction des visas du ministère de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Co-développement informa le requérant de la convocation prochaine de sa famille au consulat de Yaoundé.
L’épouse du requérant fut convoquée au consulat le 21 février 2008. Après avoir fourni les pièces demandées pour la constitution du dossier, les autorités consulaires lui demandèrent de prendre contact avec la délégation de l’UNHCR/Cameroun pour l’établissement de titres de voyage pour elle et ses enfants conformément à la Convention du 28 juillet 1951. Il lui fut assuré que lorsqu’elle ramènerait ceux-ci au consulat, un récépissé de dépôt de dossier de visas lui serait délivré. Le 18 mars 2008, l’épouse du requérant déposa ses quatre titres de voyage pour elle et ses enfants auprès du consulat mais ne reçut pas de récépissé constatant le dépôt de son dossier.
Informé de cette situation, le requérant saisit diverses autorités pour avoir des informations sur cette demande de visa de long séjour, en vain.
Le 30 mai 2008, le requérant forma un recours contre le refus implicite des autorités consulaires auprès de la Commission de recours contre les décisions de refus de visa d’entrée en France.
Le 11 juin 2008, le requérant introduisit un référé suspension devant le Conseil d’Etat à l’encontre de cette décision implicite de rejet. Le même jour, le requérant déposa auprès du Conseil d’Etat une requête en excès de pouvoir contre ladite décision.
Par une ordonnance du 23 juin 2008, le juge des référés du Conseil d’Etat rejeta la requête en référé suspension au motif que la Commission de recours contre le refus de visa n’avait pas encore statué.
Le 30 juillet 2008, deux mois sans réponse de cette commission valant un rejet implicite, le requérant déposa un nouveau référé-suspension et un référé-liberté en date du 3 août 2008.
Par une ordonnance du 13 août 2008, le juge des référés du Conseil d’Etat rejeta la requête en référé-liberté.
Par un courrier du 13 août 2008, le requérant fut informé que l’audience de référé-suspension était fixée au 10 septembre 2008. Présent à l’audience ce jour là, le requérant découvrit un mémoire du ministre de l’Immigration mettant en cause les actes de naissance de ses enfants Michèle et Benjamin, qui ne lui a pas été communiqué. Suite à cette audience, le requérant déposa une note en délibéré.
Le 16 septembre 2008, le juge des référés informa le requérant qu’il avait décidé de rouvrir l’instruction de son affaire et qu’il avait communiqué la note en délibéré au ministre de l’Immigration compétent.
Par une ordonnance du 26 septembre 2008, le Conseil d’Etat rejeta la requête en référé-suspension. Il estima que le moyen tiré de ce que le motif de refus à la demande de visa — le caractère apocryphe des actes de naissance produits concernant X et Y — ne pouvait légalement fonder la décision de refus, n’était pas de nature en l’état de l’instruction, à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de cette décision, compte tenu du résultat des vérifications d’état civil effectuées par le consulat général de France à Yaoundé et de ce que le caractère frauduleux de la demande était de nature à ce que soient refusés les visas sollicités non seulement pour ces deux enfants, mais également pour son épouse et son troisième enfant au titre de la procédure de regroupement familial. Pour la même raison, il rejeta le moyen tiré de la méconnaissance de la convention internationale aux droits de l’enfant, de celui tiré de la méconnaissance de la directive (CE) n° 2003/86 du 22 septembre 2003 relative au droit au regroupement familial, ainsi que des moyens tirés de ce que la séparation de sa famille depuis plus de quatre ans constituerait un traitement inhumain proscrit par l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et de ce que la décision attaquée introduirait une différence de traitement non justifiée entre étrangers et ressortissants français ou ressortissants d’un Etat membre de l’Union européenne et porterait une atteinte excessive à son droit à une vie privée et familiale normale.
Dans le cadre du recours en excès de pouvoir, le ministre compétent produisit un mémoire en défense le 6 octobre 2008. Le 23 octobre 2008, le requérant répliqua en fournissant les preuves des relations épistolaires entretenues avec sa famille et les reçus de transfert d’argent à destination de sa famille (figure également au dossier une attestation de composition familiale du UNHCR/Cameroun datée du 26 septembre 2008 sur laquelle figure son épouse et ses trois enfants). Quant au moyen pris du caractère prétendument frauduleux des actes de naissance de ses enfants X et Y, il fit valoir que les opérations de vérification des documents n’avaient été engagées qu’à partir du 18 février 2009, soit cinq mois après que le juge des référés a donné par anticipation crédit au doute soulevé par l’administration au renfort de son refus de délivrer les visas concernés. Le requérant produisit à cet égard les copies de quittances de frais d’instruction des demandes de visa datées du 18 février 2009.
Par un arrêt du 8 juillet 2009, notifié le 5 août, le Conseil d’Etat rejeta la demande d’annulation de la décision implicite. Il considéra qu’il ressortait des pièces du dossier que le motif du refus de visa était tiré du caractère frauduleux de documents produits ne permettant pas de considérer comme établi le lien de filiation allégué. Il rappela à cet égard que la levée d’acte effectuée auprès des services de l’état-civil camerounais par les autorités françaises à des fins de vérification des actes d’état civil produits par le requérant pour les deux enfants nés dans ce pays et concernés par la demande de visa, avait conduit à la délivrance, sous les mêmes numéros de référence, de deux actes de naissance totalement différents, concernant des tiers. Le Conseil d’Etat estima à ce propos que la circonstance que le caractère frauduleux de l’un des deux actes précités n’est pas démontré avec certitude par l’administration n’est pas de nature à créer un doute quant à la démonstration du caractère apocryphe du second acte et conclut que « dans ces conditions, ni la production de déclarations de naissance provenant de la maternité de Yaoundé et du centre médical de la police de Yaoundé, ni l’allégation selon laquelle cette discordance proviendrait d’un dysfonctionnement des services d’état civil camerounais, ne permettent d’écarter le caractère frauduleux d’au moins un des documents ainsi produits ». Il précisa enfin que le caractère frauduleux d’au moins un des documents produits était de nature à ce que soient refusés l’ensemble des visas sollicités dès lors que les demandes ont été présentées au titre de la même procédure de regroupement familial.
A la suite de cette décision, le requérant contacta le bureau du HCR/Paris et le directeur de l’OFPRA.
Par un courrier du 18 août 2009, le HCR lui répondit que d’après les informations communiquées par la délégation de l’UNHCR/Cameroun, le Consulat de France à Yaoundé était prêt à délivrer un visa à son épouse et à deux de ses enfants, Y et Z. Concernant l’acte de naissance de sa fille X, il lui était conseillé de faire une demande de jugement supplétif d’acte de naissance auprès du tribunal de grande instance de Yaoundé. Par un courrier du 21 août 2009, le directeur de l’OFPRA écrivit à la Cimade, également saisie du dossier, que ses services, par note du 23 juillet 2007, avaient certifié sa situation familiale auprès de la sous-direction des visas à Nantes, seule administration compétente en matière de regroupement familial des étrangers.
L’épouse du requérant saisit le tribunal de première instance de Yaoundé afin de faire établir un jugement supplétif de l’Etat civil de l’enfant X. Par un jugement du 27 octobre 2009, ce tribunal se déclara incompétent.
GRIEFS
1. Invoquant l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme, le requérant se plaint du refus des autorités de délivrer des visas pour ses enfants et son épouse. Ce refus est fondé sur un doute existant sur la validité des actes de naissance, lequel doute a été soulevé devant le juge des référés alors même qu’aucune vérification n’avait encore été entreprise sur ces actes. Il dénonce une présomption de fraude contraire au paragraphe 2 de l’article 8 dès lors qu’elle n’est pas prévue et pas nécessaire et estime que c’est la présomption inverse qui devrait être appliquée. Il explique subir la séparation d’avec sa famille depuis plus de cinq ans, ce qui constitue une grande souffrance qui a des répercussions sur sa santé.
2. Sous l’angle de l’article 6 § 2 de la Convention européenne des droits de l’Homme, le requérant allègue que l’Etat l’accuse de la production d’actes frauduleux, infraction pénale, alors que les garanties de la procédure pénale lui ont été refusées. Il parle d’un détournement de procédure grossier et manifeste.
3. Invoquant les articles 6 § 1 et 14 de la Convention européenne des droits de l’Homme, le requérant se plaint de n’avoir pas eu un procès équitable et dénonce une politique empêchant le regroupement familial par des moyens qui pénalisent les enfants et ne tiennent pas compte des usages administratifs des pays de provenance des réfugiés.
QUESTION AUX PARTIES
Compte tenu des documents fournis par le requérant, dont notamment les attestations du Haut commissariat des réfugiés/Cameroun et de l’OFPRA sur la composition de sa famille, le refus de faire droit aux demandes de visas d’entrée en France de son épouse et des enfants X, Y et Z, constitue-t-il en l’espèce une ingérence dans le droit au respect de la vie familiale du requérant, au sens de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme? Y aurait-il des éléments de preuve de nature à infirmer les documents et les attestations précitées ? Dans l’affirmative, celle-ci se justifie-t-elle au regard du paragraphe 2 de l’article 8 ?
Le Gouvernement est invité à fournir des informations sur la procédure de demande de visa pour les familles de réfugiés.
Condamnation de la France: données personnelles
CINQUIÈME SECTION Requête no 19522/09
Arrêt M* K** contre France du 18 avril 2013
Représenté par Maître Christophe MEYER – Avocat
FAITS (extraits)
- Le requérant est né en 1972 et réside à Paris.
- Le 10 février 2004, une enquête fut ouverte à l’encontre du requérant pour vol de livres. Les services d’enquête prélevèrent ses empreintes digitales.
- Par un arrêt du 15 février 2005, sur appel d’un jugement rendu le 28 avril 2004 par le tribunal correctionnel de Paris, la cour d’appel de Paris relaxa le requérant.
- Le 28 septembre 2005, le requérant fut placé en garde à vue dans le cadre d’une enquête de flagrance, également pour vol de livres. Il fit à nouveau l’objet d’un prélèvement d’empreintes digitales.
- Le 2 février 2006, cette procédure fut classée sans suite par le procureur de la République de Paris.
- Les empreintes relevées lors de ces procédures furent enregistrées au fichier automatisé des empreintes digitales (« FAED »).
- Par une lettre du 21 avril 2006, le requérant demanda au procureur de la République de Paris que ses empreintes soient effacées du FAED.
- Le 31 mai 2006, le procureur de la République fit procéder uniquement à l’effacement des prélèvements effectués lors de la première procédure. Il fit valoir que la conservation d’un exemplaire des empreintes du requérant se justifiait dans l’intérêt de celui-ci, en permettant d’exclure sa participation en cas de faits commis par un tiers usurpant son identité.
- Le 26 juin 2006, le requérant forma un recours devant le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Paris.
- Par une ordonnance du 25 août 2006, le juge des libertés et de la détention rejeta sa demande. Il estima que la conservation des empreintes était de l’intérêt des services d’enquête, leur permettant de disposer d’un fichier ayant le plus de références possibles. Le juge ajouta que cette mesure ne causait aucun grief au requérant, compte tenu de la confidentialité du fichier, qui excluait toute conséquence sur la vie sociale ou personnelle de l’intéressé.
- Le 21 décembre 2006, le président de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris confirma cette ordonnance.
- Par un arrêt du 1er octobre 2008, la Cour de cassation rejeta le pourvoi du requérant en considérant, la procédure étant écrite, qu’il avait été mis en mesure de faire valoir son argumentation et de prendre connaissance de l’opposition motivée du ministère public. Elle ajouta que les pièces de la procédure lui permettaient de s’assurer que la demande avait été traitée conformément aux textes légaux et conventionnels invoqués par le requérant, parmi lesquels figurait l’article 8 de la Convention.
Solution (extraits)
- En l’espèce, la mesure litigieuse, qui n’emporte en elle-même aucune obligation à la charge du requérant, obéit à des modalités de consultation suffisamment encadrées, qu’il s’agisse des personnes habilitées à consulter le fichier ou du régime d’autorisation auxquelles sont soumises les opérations d’identification qui correspondent à la finalité du fichier (voir, a contrario, Khelili c. Suisse, no 16188/07, § 64, 18 octobre 2011).
- La Cour observe qu’il en va différemment du régime de collecte et de conservation des données.
- En effet, la Cour note d’emblée que la finalité du fichier, nonobstant le but légitime poursuivi, a nécessairement pour résultat l’ajout et la conservation du plus grand nombre de noms possibles, ce que confirme la motivation retenue par le juge des libertés et de la détention dans son ordonnance du 25 août 2006 (paragraphe 14 ci-dessus).
- Elle relève par ailleurs que le refus du procureur de la République de faire procéder à l’effacement des prélèvements effectués lors de la seconde procédure était motivé par la nécessité de préserver les intérêts du requérant, en permettant d’exclure sa participation en cas d’usurpation de son identité par un tiers (paragraphe 12 ci-dessus). Or, outre le fait qu’un tel motif ne ressort pas expressément des dispositions de l’article 1er du décret litigieux, sauf à en faire une interprétation particulièrement extensive, la Cour estime que retenir l’argument tiré d’une prétendue garantie de protection contre les agissements des tiers susceptibles d’usurper une identité reviendrait, en pratique, à justifier le fichage de l’intégralité de la population présente sur le sol français, ce qui serait assurément excessif et non pertinent.
- De plus, à la première fonction du fichier qui est de faciliter la recherche et l’identification des auteurs de crimes et de délits, le texte en ajoute une seconde, à savoir « faciliter la poursuite, l’instruction et le jugement des affaires dont l’autorité judiciaire est saisie » dont il n’est pas clairement indiqué qu’elle se limiterait aux crimes et délits. En visant également « les personnes, mises en cause dans une procédure pénale, dont l’identification s’avère nécessaire » (article 3, 2o du décret), il est susceptible d’englober de facto toutes les infractions, y compris les simples contraventions dans l’hypothèse où cela permettrait d’identifier des auteurs de crimes et de délits selon l’objet de l’article 1 du décret (paragraphe 17 ci-dessus). En tout état de cause, les circonstances de l’espèce, relatives à des faits de vol de livres classés sans suite, témoignent de ce que le texte s’applique pour des infractions mineures. La présente affaire se distingue ainsi clairement de celles qui concernaient spécifiquement des infractions aussi graves que la criminalité organisée (S. et Marper, précité) ou des agressions sexuelles (Gardel, Bouchacourt et M.B., précités).
- En outre, la Cour note que le décret n’opère aucune distinction fondée sur l’existence ou non d’une condamnation par un tribunal, voire même d’une poursuite par le ministère public. Or, dans son arrêt S. et Marper, la Cour a souligné le risque de stigmatisation, qui découle du fait que les personnes qui avaient respectivement bénéficié d’un acquittement et d’une décision de classement sans suite – et étaient donc en droit de bénéficier de la présomption d’innocence – étaient traitées de la même manière que des condamnés (§ 22). La situation dans la présente affaire est similaire sur ce point, le requérant ayant bénéficié d’une relaxe dans le cadre d’une première procédure, avant de voir les faits reprochés par la suite classés sans suite.
- Aux yeux de la Cour, les dispositions du décret litigieux relatives aux modalités de conservation des données n’offrent pas davantage une protection suffisante aux intéressés.
- S’agissant tout d’abord de la possibilité d’effacement de ces données, elle considère que le droit de présenter à tout moment une demande en ce sens au juge risque de se heurter, pour reprendre les termes de l’ordonnance du 25 août 2006, à l’intérêt des services d’enquêtes qui doivent disposer d’un fichier ayant le plus de références possibles (paragraphe 14 ci-dessus). Partant, les intérêts en présence étant – ne serait-ce que partiellement – contradictoires, l’effacement, qui n’est au demeurant pas un droit, constitue une garantie « théorique et illusoire » et non « concrète et effective ».
- La Cour constate que si la conservation des informations insérées dans le fichier est limitée dans le temps, cette période d’archivage est de vingt-cinq ans. Compte tenu de son précédent constat selon lequel les chances de succès des demandes d’effacement sont pour le moins hypothétiques, une telle durée est en pratique assimilable à une conservation indéfinie ou du moins, comme le soutient le requérant, à une norme plutôt qu’à un maximum.
- En conclusion, la Cour estime que l’Etat défendeur a outrepassé sa marge d’appréciation en la matière, le régime de conservation dans le fichier litigieux des empreintes digitales de personnes soupçonnées d’avoir commis des infractions mais non condamnées, tel qu’il a été appliqué au requérant en l’espèce, ne traduisant pas un juste équilibre entre les intérêts publics et privés concurrents en jeu. Dès lors, la conservation litigieuse s’analyse en une atteinte disproportionnée au droit du requérant au respect de sa vie privée et ne peut passer pour nécessaire dans une société démocratique.
- Partant, il y a eu violation de l’article 8 de la Convention.