Avocat pour la Cour des Droits de l'Homme à Strasbourg -Maître Christophe Nouzha

 

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Christophe Nouzha Avocat CEDH

Avocat à la CEDH, spécialiste de la Cour européenne des droits de l'Homme Christophe Nouzha est avocat à Strasbourg depuis 2006.

 

Il a 15 ans d'expérience dans les procédures devant la CEDH.

 

Diplômé de l'Institut d'études politiques de Strasbourg, il a obtenu un DEA de Droit international à l'Université Robert Schuman en 1999.

 

Il y a enseigné de 2000 à 2004 et soutenu à Strasbourg sa thèse qui fut couronnée par un prix décerné par l'Académie des sciences morales et politiques.

 

Christophe Nouzha est également membre de l'American Society of International Law, de la Société française pour le droit de l'environnement et de l'Association française pour les Nations Unies.

Exemple d'arrêt obtenu à la CEDH par Me Christophe Nouzha

DEUXIÈME SECTION

 

 

 

 

 

 

AFFAIRE SCAVETTA c. MONACO

 

(Requête no 33301/13)

 

 

 

 

 

 

 

 

ARRÊT

 

 

STRASBOURG

 

30 mai 2017

 

 

 

DÉFINITIF

 

30/08/2017

 

 

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

 

 

 

En laffaire Scavetta c. Monaco,

La Cour européenne des droits de lhomme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Robert Spano, président,
Julia Laffranque,
Işıl Karakaş,
Nebojša Vučinić,
Paul Lemmens,
Jon Fridrik Kjølbro,
Stéphanie Mourou-Vikström, juges,
et de Stanley Naismithgreffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 2 mai 2017,

Rend larrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1.  À lorigine de laffaire se trouve une requête (no 33301/13) dirigée contre la Principauté de Monaco et dont un ressortissant italien, M. Giuseppe Scavetta (« le requérant »), a saisi la Cour le 21 mai 2013 en vertu de larticle 34 de la Convention de sauvegarde des droits de lhomme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  Le requérant a été représenté par Me C. Nouzha, avocat à Strasbourg. Le gouvernement monégasque (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. J.-L. Ravera.

3.  Le requérant allègue une violation de larticle 6 §§ 1 et 3 de la Convention en raison de labsence de communication du rapport du conseiller rapporteur et des conclusions écrites du représentant du ministère public devant la Cour de révision.

4.  Le 10 juillet 2014les griefs concernant labsence de communication du rapport du conseiller rapporteur et des conclusions écrites du représentant du ministère public devant la Cour de révision ont été communiqués au Gouvernement et la requête a été déclarée irrecevable pour le surplus.

5.  Par une lettre du 8 octobre 2014, le gouvernement italien a informé la Cour quil ne souhaite pas user de son droit dintervenir dans la procédure (article 36 § 1 de la Convention).

6.  Le 1er juillet 2016, la Cour a demandé aux parties de lui envoyer des observations complémentaires (article 54 § 2 c) du règlement de la Cour).

EN FAIT

7.  Le requérant est né en 1955 et réside à Monaco.

8.  Courant 2005, le requérant proposa à des connaissances de longue date, A.A., F.A. et M.T. dacquérir une société française spécialisée dans la fabrication de bijoux fantaisie, la SAS F. H., par lentremise dune société holding, la société FH Finances, quil leur avait demandé de constituer. A.A., F.A. et M. T. apportèrent chacun la somme de 124 360 euros (EUR), tout en se portant caution dun crédit de 450 000 EUR souscrit par la société FH Finances. Cette dernière fut constituée par A.A., F.A., M.T. et le requérant le 23 mars 2006, son siège social étant établi en France et sa présidence confiée à X.B. Le 24 juillet 2006, la société FH Finances fit lacquisition de la totalité des actions de la société F. H. pour la somme de 723 000 EUR.

9.  Le 28 novembre 2007, A.A., F.A., M.T. et la société FH Finances déposèrent une plainte en se constituant partie civile à lencontre du requérant pour abus de confiance et escroquerie. Ils reprochaient notamment au requérant davoir été le gérant de fait de la société FH Finances et den avoir profité pour manipuler les comptes bancaires, tout en faisant des prélèvements et des virements injustifiés, pour un montant total de 157 933 EUR, agissements qui avaient conduit à la déclaration de létat de cessation de paiement de la société FH Finances.

10.  Le 23 janvier 2008, une information judiciaire fut ouverte. Lenquête confiée aux policiers par le juge dinstruction établit, dune part, que le requérant avait dirigé, sans titre officiel, les sociétés F. H. et FH Finances et, dautre part, que si X.B. avait consenti au requérant, en septembre 2006, une procuration sur le compte en banque, une erreur de cette dernière avait permis au requérant de procéder à des mouvements bien avant.

11.  Au cours de linstruction, le requérant expliqua quil dirigeait la société FH Finances en lien avec X.B. et quil disposait dun mandat de gestion globale pour gérer les deux sociétés depuis les locaux dune troisième, la SAM IET à Monaco. Il soutint quun accord verbal était intervenu avec les plaignants, aux termes duquel il ne percevait pas de rémunération mais un dédommagement à hauteur de 30% du montant du résultat avant impôt de la société F. H., outre le remboursement de ses frais de déplacement. Il évaluait pour sa part à 65 000 EUR les montants prélevés à son profit ou au profit de la société monégasque IET. Il précisa que deux virements, dun montant total de 25 000 EUR, sexpliquaient par la rémunération de la secrétaire ayant travaillé dans les locaux de la société IET pour le compte de la société F. H., nonobstant labsence de facture. Il confirma en outre labsence de contrat entre les sociétés FH Finances et IET.

12.  Le 17 juin 2011, un juge dinstruction de Monaco rendit une ordonnance dincompétence et de non-lieu partiel. Compte tenu du fait que les sociétés F. H. et FH Finances avaient leurs sièges sociaux et leurs comptes bancaires en France, le juge dinstruction de Monaco ne retint que les faits de détournement commis par le requérant au profit de la société monégasque IET, plus précisément par le versement des sommes directement sur le compte administrateur du requérant et dun montant de 25 000 EUR. Le requérant fut renvoyé devant le tribunal correctionnel pour abus de confiance.

13.  Par un jugement du 17 janvier 2012, le tribunal correctionnel de Monaco releva que le requérant, déjà condamné en France pour des infractions en matière économique, navait jamais produit le moindre justificatif des dépenses prétendument engagées et que les 25 000 EUR litigieux avaient été versés sur son compte administrateur et navaient donc profité quà lui. Il le déclara coupable et le condamna à un an demprisonnement. Le tribunal accorda également 25 000 EUR à la société FH Finances, ainsi que 5 000 EUR à A.A., F.A. et M.T. à titre de dommages-intérêts.

14.  Le requérant et le ministère public interjetèrent appel.

15.  Par un arrêt du 8 octobre 2012, la cour dappel confirma le jugement en toutes ses dispositions, réduisant toutefois la peine à six mois demprisonnement.

16.  Le requérant forma un pourvoi. Dans sa requête en révision, signée par lui et son avocat plaidant, Me G. Carrasco, inscrit au barreau de Nice, il souleva plusieurs moyens, soutenant notamment que linfraction dabus de biens sociaux nétait pas constituée et que les constitutions de partie civile étaient irrecevables.

17.  Le procureur général déposa des conclusions en date du 3 décembre 2012. Le 5 décembre 2012, le greffe général en adressa une copie au premier président de la Cour de révision, au conseiller rapporteur, ainsi quà deux avocats monégasques, qualifiés au terme du courrier d« avocats-défenseurs », Mes C. Lecuyer et G. Gazo, par dépôt dans leurs boîtes à lettres respectives au Palais de justice. Par ailleurs, conformément à la pratique en vigueur devant la Cour de révision, un conseiller rapporteur, désigné par le président parmi les membres de la Cour, rédigea un rapport réservé aux membres de la Cour de révision et soumis au secret du délibéré.

18.  Par un arrêt du 24 janvier 2013, la Cour de révision rejeta le pourvoi du requérant. Larrêt visait expressément le requérant, avec la mention « comparaissant en personne et ayant comme avocat plaidant Maître Gaston Carrasco, avocat au barreau de Nice », ainsi que le nom des parties civiles et de leur représentant, Me G. Gazo, avocat-défenseur près la cour dappel.

EN DROIT

I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE LARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

19.  Le requérant se plaint de labsence de communication du rapport du conseiller rapporteur et des conclusions écrites du procureur général devant la Cour de révision. Il invoque larticle 6 §§ 1 et 3 de la ConventionMaîtresse de la qualification juridique des faits, la Cour estime que laffaire doit être examinée à la lumière du seul paragraphe 1 de larticle 6 de la Conventiondont les dispositions pertinentes se lisent comme suit :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (...) »

20.  Le Gouvernement soppose à cette thèse.

A.  Sur la recevabilité

1.  Thèse des parties

21.  Le Gouvernement soulève une exception dirrecevabilité pour défaut dépuisement des voies de recours internes. Il rappelle tout dabord, à titre liminaire, que le requérant était au fait des procédures devant la Cour de révision, ayant déjà été impliqué dans une précédente affaire ayant abouti à un arrêt de cette dernière : il en déduit, dune part, que le requérant ne pouvait ignorer que le rapport du conseiller rapporteur est confidentiel et quil nest jamais communiqué aux parties ou au procureur général et, dautre part, quil aurait pu demander au président de la Cour de révision la transmission des conclusions du procureur général sil nen avait pas été destinataire comme cest pourtant la règle. Sagissant du recours qui aurait été omis, le Gouvernement soutient que si le requérant entendait se prévaloir dun dysfonctionnement de la justice monégasque, il aurait dû introduire une action en responsabilité contre lÉtat du fait du fonctionnement défectueux de ses services judiciaires. Il invoque à ce titre un jugement du tribunal de première instance du 30 septembre 2014, dans une affaire Dezhkina c. lÉtat de Monaco, octroyant des dommages-intérêts en raison dun préjudice causé par une enquête de flagrance ayant abouti à un classement sans suite.

22.  Le requérant estime quant à lui avoir épuisé les voies de recours internes, dès lors quil a saisi la Cour de révision. Il estime quil ne devait pas refaire tout un parcours juridictionnel, en mettant cette fois en cause la responsabilité de lÉtat pour violation des dispositions de la Convention. Outre quil ny a pas dobligation dépuiser lensemble des voies de recours hypothétiquement disponibles dans un système juridictionnel donné, il lui semble quil serait pour le moins absurde dimposer à un requérant de se tourner vers une juridiction de première instance pour se plaindre de la procédure suivie par la juridiction suprême de lÉtat.

2.  Appréciation de la Cour

23.  La Cour rappelle que la finalité de larticle 35 § 1 de la Convention est de ménager aux États contractants loccasion de prévenir ou redresser les violations alléguées contre eux avant que ces allégations ne lui soient soumises (voir, parmi beaucoup dautres, Cardot c. France, 19 mars 1991, § 36, série A no 200). Ainsi, le grief dont on entend saisir la Cour doit dabord être soulevé, au moins en substance, dans les formes et délais prescrits par le droit interne, devant les juridictions nationales appropriées. Néanmoins, seules les voies de recours effectives et propres à redresser la violation alléguée doivent être épuisées (voir, parmi de nombreux autres, Remli c. France, 23 avril 1996, § 33, Recueil des arrêts et décisions 1996II). Plus précisément, les dispositions de larticle 35 § 1 de la Convention ne prescrivent lépuisement que des recours à la fois relatifs aux violations incriminées, disponibles et adéquats ; ils doivent exister à un degré suffisant de certitude non seulement en théorie mais aussi en pratique, sans quoi leur manquent leffectivité et laccessibilité voulues (voir, par exemple, Selmouni c. France [GC], 28 juillet 1999, no 25803/94, § 75, CEDH 1999-V, et Vučković et autres c. Serbie (exception préliminaire) [GC], no 17153/11, §§ 71 et s., 25 mars 2014). Il incombe à lÉtat défendeur, sil plaide le non-épuisement, de démontrer que ces conditions se trouvent réunies (Selmouni, précité, et Paksas c. Lituanie [GC], no 34932/04§ 75, CEDH 2011).

24.  La Cour ne voit pas en quoi le recours invoqué par le Gouvernement aurait été susceptible de redresser les griefs soulevés par le requérant, à savoir le défaut de communication du rapport du conseiller rapporteur et des conclusions du procureur général, ainsi que limpossibilité de répondre à ces dernières. En outre, elle constate que le Gouvernement invoque un jugement du tribunal de première instance de Monaco en date du 30 septembre 2014 au soutien de lexception quil soulève. Cependant, outre quil sagit dune jurisprudence isolée, la Cour note que ladite affaire concernait des allégations de fautes lourdes commises par les services de police judiciaire.

25.  Or, les circonstances de lespèce concernent une toute autre hypothèse, le requérant se plaignant du déroulement de la procédure devant la Cour de révision dans le cadre de lexamen de son pourvoi formé en matière pénale. Ainsi, outre la différence entre le précédent invoqué par le Gouvernement et laffaire dont la Cour est saisie, il nest pas établi, en létat, que la saisine du tribunal de première instance pour contester les pratiques en vigueur au sein de la Cour de révision, juridiction située au sommet de la hiérarchie judiciaire comme le rappelle le Gouvernement dans ses observations sur le fond (paragraphe 33 ci-dessous)soit susceptible de constituer un recours effectif dont le requérant aurait pu faire usage. En tout état de cause, un recours à vocation indemnitaire naurait pas permis de redresser les griefs relatifs à des manquements procéduraux.

26.  Dès lors, lexception soulevée par le Gouvernement doit être rejetée.

27.  Par ailleurs, la Cour constate que ce grief nest pas manifestement mal fondé au sens de larticle 35 § 3 a) de la Convention et quil ne se heurte à aucun autre motif dirrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B.  Sur le fond

1.  Thèse des parties

a)  Le requérant

28.  Le requérant estime, sagissant du rapport du conseiller rapporteur, quune simple « pratique », invoquée par le Gouvernement, ne saurait suffire pour que soit garanti le respect des règles issues de larticle 6 § 1 de la Convention, notamment le principe du contradictoire.

29.  Concernant les conclusions du ministère public, le requérant renvoie à larrêt de la Cour de révision dans laffaire le concernant pour souligner le fait quà aucun moment nest mentionné le fait quil aurait été en mesure dy répondre. Il explique navoir pas été destinataire des conclusions du procureur général datées du 3 décembre 2012 et quune simple feuille émanant du greffe général, sur laquelle figure le tampon mentionnant une date et prétendument déposée dans une boîte à lettres professionnelle située au palais de justice de Monaco, ne saurait constituer une preuve suffisante que le requérant et son avocat ont bien été destinataires de ce document qui revêt une grande importance.

30.  Par ailleurs, le requérant relève que son avocat, Me G. Carrasco, inscrit au barreau de Nice, dont le nom est le seul à figurer sur la requête déposée devant la Cour de révision, ne faisait pas partie des destinataires visés par la lettre du greffe, qui est produite par le Gouvernement. Il ne disposait en outre pas, en tant quavocat français, dun cartonnier au palais de justice de Monaco qui lui aurait permis de recevoir le courrier du greffe accompagné des conclusions du procureur général. Le requérant souligne également, quayant saisi la Cour de révision en personne, comme cela est rendu possible par les articles 475 et 476 du code de procédure pénale, et en étant simplement assisté dans le cadre de cette instance dun avocat nayant pas la qualité davocat défenseur monégasque, les conclusions du procureur général auraient dû lui être adressées directement et personnellement afin de respecter le principe du contradictoire.

31.  Le requérant note que le Gouvernement semble tout à fait conscient du problème posé par la procédure suivie puisque les conclusions du parquet sont désormais rédigées dans un délai de quinze jours avant communication aux parties par le greffe.

b)  Le Gouvernement

i.  Lexamen dun pourvoi en révision

32.  Le Gouvernement présente le déroulement de lexamen dun pourvoi devant la Cour de révisionSituée au sommet de la hiérarchie judiciaire, cette dernière opère un contrôle limité au respect du droit, y compris les règles de compétence et de procédure, à lexclusion de lappréciation des faits stricto sensu qui relève de la seule compétence des juridictions du fond. La majorité des pourvois concerne des arrêts rendus en matière civile, pénale, commerciale et administrative.

33.  La Cour de révision comprend actuellement dix magistrats : un président, un vice-président et huit conseillers siégeant selon leur ordre de nomination. Nommés par ordonnance souveraine, ces magistrats sont pour la plupart issus de la Cour de cassation française. Ils se réunissent au cours de deux sessions annuelles dune durée de dix à quinze jours chacune et ils ne sont pas présents au palais de justice de Monaco en dehors de ces sessions, puisquils exercent leur activité principale en dehors de Monaco.

34.  La Cour de révision ne statue valablement quen formation dau moins trois de ses membres. Les pourvois sont examinés de deux façons : selon la procédure normale, sagissant des affaires dites « en session » ; selon une procédure spécifique, uniquement sur pièces, pour les affaires dites « hors session ». La procédure normale, qui comprend une audience publique avec réquisitions orales du ministère public et plaidoiries, comprend les contentieux civils et commerciaux, sauf exceptions spécifiques (article 459 du code de procédure civile). La procédure dite « hors session », qui concerne toutes les affaires pénales et certains dossiers civils, se déroule exclusivement par écrit et sur pièces (article 489 du code de procédure pénale).

35.  Concernant plus spécialement la question de la communication du rapport du conseiller rapporteur, le Gouvernement présente la pratique en vigueur devant la Cour de révision de Monaco. Dès quune déclaration de pourvoi est présentée en matière pénale, le premier président de la Cour de révision en est avisé et il désigne un rapporteur parmi les membres de la Cour. Le conseiller rapporteur reçoit copie de toutes les pièces produites par les parties, au fur et à mesure de leur dépôt. Il rédige, à la lumière des pièces produites et après clôture de linstruction préalable, trois sortes de documents : un bref rappel des faits et de la procédure, à partir des éléments mentionnés dans la décision attaquée ; une note, souvent appelée rapport, dans laquelle sont exposés les moyens et objections soulevés par les défendeurs ou le ministère public, les éléments juridiques permettant dapprécier le bien-fondé des moyens, ainsi que lavis du rapporteur sur ce bien-fondé et sa proposition de rejet ou de cassation ; un ou plusieurs projets darrêt élaborés en fonction de cette solution. Avant laudience, les membres de la Cour de révision appelés à juger laffaire reçoivent copie de tous ces documents. En revanche, ces documents sont soumis au secret du délibéré : ils ne sont jamais communiqués aux autres parties ou au ministère public. Le Gouvernement souligne donc quen lespèce le rapport du conseiller rapporteur na fait lobjet daucune transmission, totale ou partielle, au représentant du ministère public.

36.  Sagissant enfin de la communication des conclusions de lavocat général, le Gouvernement explique quune pratique en vigueur devant la Cour de révision est de nature à offrir aux parties la possibilité de prendre connaissance des conclusions litigieuses et de les commenter dans des conditions satisfaisantes. Il souligne que lorsque les échanges décriture entre parties sont terminées, le greffier en chef dresse un certificat de clôture et communique le dossier au procureur général, lequel rédige alors ses conclusions écrites, en vue de la transmission du dossier ainsi complété à la Cour de révision. Ces conclusions sont par ailleurs transmises au greffe général qui en dépose une copie dans le cartonnier des avocats, cest-à-dire dans leurs boîtes à lettres professionnelles situées dans les locaux du palais de justice de Monaco. Lorsque les parties ne sont pas représentées, le greffe général leur en envoie copie par courrier à leur adresse personnelle. Les parties concernées ont donc bien connaissance des conclusions du procureur général et, dailleurs, le Gouvernement cite un arrêt de la Cour de révision en date du 16 décembre 2010, dans une affaire A. c. Ministère public, relevant expressément que le défendeur avait bien été en mesure dy répondre.

ii.  Les circonstances de lespèce

37.  Le Gouvernement produit un document du greffe général qui indique que les conclusions du ministère public ont bien été déposées dans le cartonnier « des avocats concernés » le 5 décembre 2012. Il relève en outre que quarante-deux jours se sont écoulés entre ce dépôt et lexamen de laffaire par la Cour de révision le 17 janvier 2013, ce qui permettait incontestablement au requérant dy répliquer dans des conditions satisfaisantes.

38.  Il estime dès lors que la procédure suivie en lespèce était conforme aux dispositions de larticle 6 de la Convention et à la jurisprudence de la Cour.

39.  Le Gouvernement précise en outre que, par souci de clarification de la procédure devant la Cour de révision, la procédure a été très légèrement modifiée depuis le mois doctobre 2014 (article 479 du code de procédure pénale) : les conclusions du ministère public sont établies dans les quinze jours de la réception du dossier au parquet ; le greffe en communique la teneur aux parties, qui sont avisées de leur faculté dy répliquer dans la quinzaine ; à lexpiration de ce dernier délai, un certificat de clôture est dressé par le greffe avant acheminement du dossier, via le parquet, au premier président de la Cour de révision.

2.  Appréciation de la Cour

a)  Sur labsence de communication du rapport du conseiller rapporteur

40.  La Cour rappelle que dans son arrêt Reinhardt et Slimane-Kaïd c. France, elle a jugé quétant donné limportance du rapport du conseiller rapporteur, principalement du second volet qui contient un avis sur le mérite du pourvoi et le projet darrêt, le rôle de lavocat général et les conséquences de lissue de la procédure pour les intéressés, le déséquilibre créé par sa communication au ministère public, faute dune communication identique du rapport aux conseils des requérants, ne saccorde pas avec les exigences du procès équitable (31 mars 1998, § 105, Recueil 1998-II).

41.  La question de labsence de communication de ce rapport du conseiller rapporteur au justiciable ne soulève donc un problème au regard de larticle 6 § 1 de la Convention que dans la mesure où ledit rapport a été communiqué à lavocat général avant laudience (Reinhardt et Slimane-Kaïdprécité, § 105, et Pascolini c. France, no 45019/98, § 20, 26 juin 2003).

42.  En lespèce, la Cour constate que la pratique de la Cour de révision consiste à soumettre le rapport du conseiller rapport au secret du délibéré et, partant, à ne jamais le communiquer, partiellement ou en intégralité, aux parties ou au ministère public. Or, le requérant nétablit aucunement quil en aurait été autrement dans le cadre de la procédure le concernant.

43.  Dès lors, aucune atteinte aux exigences de larticle 6 de la Convention, et plus spécialement aux droits de la défense et à légalité des armes, ne peut être constatée dans la présente affaire.

44.  Il sensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et quelle doit être rejetée en application de larticle 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

b)  Sur le défaut de transmission des conclusions du procureur général et limpossibilité pour le requérant dy répondre

45.  La Cour rappelle que le droit à une procédure contradictoire au sens de larticle 6 § 1 de la Convention, tel quinterprété par la jurisprudence, « implique en principe le droit pour les parties à un procès de se voir communiquer et de discuter toute pièce ou observation présentée au juge, fût-ce par un magistrat indépendant, en vue dinfluencer sa décision » (voir, en matière pénale, J.J. c. Pays-Bas27 mars 1998, § 43, Recueil 1998-II).

46.  Elle rappelle également quelle a eu loccasion dexaminer ce type de grief et de conclure à la violation de larticle 6 § 1 dans le contexte de la procédure devant différentes cours suprêmes (voir, notamment, Vermeulen c. Belgique, 20 février 1996, § 33, Recueil 1996-ILobo Machado c. Portugal20 février 1996, § 31, Recueil 1996-I, J.J., précité, et Reinhardt et Slimane-Kaïd, précité, § 106).

47.  Dans larrêt Reinhardt et Slimane-Kaïd (précité), la Cour a déclaré que l« absence de communication des conclusions de lavocat général aux requérants est (...) sujette à caution »tout en relevant cependant que, lorsque les parties sont représentées par un avocat aux Conseils, il existe une pratique « de nature à offrir [aux parties] la possibilité de prendre connaissance des conclusions litigieuses et de les commenter dans des conditions satisfaisantes ». En revanche, elle a par la suite constaté que lorsque les parties avaient choisi de se défendre seules, elles ne bénéficiaient pas de cette pratique et, dès lors, elle a considéré que limpossibilité daccéder aux conclusions de lavocat général et dy répondre méconnaissait leur droit à une procédure contradictoire (Voisine c. Franceno 27362/95§ 31, 8 février 2000, et Meftah et autres c. France [GC], nos 32911/9635237/97 et 34595/97, § 51, Recueil 2002-VII).

48.  En lespèce, la Cour constate quil existe une pratique devant la Cour de révision consistant pour le greffe général soit à déposer une copie des conclusions du procureur général dans le cartonnier des avocats, cest-à-dire dans leurs boîtes à lettres professionnelles situées dans les locaux du palais de justice de Monaco, soit à en envoyer une copie à ladresse personnelle des parties lorsquelles ne sont pas représentées (paragraphe 37 ci-dessus).

49.  Aux yeux de la Cour, une telle pratique est de nature à offrir aux parties la possibilité de prendre connaissance des conclusions litigieuses et de les commenter dans des conditions satisfaisantes.

50.  Il nest toutefois pas avéré que le requérant ait pu effectivement en bénéficier dans les circonstances de lespèce.

51.  La Cour note en effet que tant la requête en révision du requérant que larrêt de la Cour de révision ne font référence quau requérant lui-même et à son avocat plaidant, inscrit au barreau de Nice. Ce dernier nétant pas avocat-défenseur et nayant pas de boîte à lettres au Palais de justice de Monaco, les conclusions auraient donc dû être envoyées par courrier à ladresse personnelle du requérant. Or, le Gouvernement ne le prétend pas, se contentant de relever que le greffe général a déposé lesdites conclusions dans le cartonnier « des avocats concernés » le 5 décembre 2012 (paragraphe 38 ci-dessus). La Cour note cependant que les avocats destinataires des conclusions étaient, selon les lettres produites par le Gouvernement, deux avocats-défenseurs (paragraphes 17 et 38 ci-dessus) : or, outre le fait quaucun dentre eux nétait désigné dans la requête en révision, un seul est cité dans larrêt de la Cour de révision, en sa qualité de représentant des parties civiles (paragraphes 16 et 18 ci-dessus). Quant à lautre avocat destinataire, selon le courrier, des conclusions du Procureur général, il napparaît à aucun stade des procédures en révision ou en appel, mais est simplement mentionné en tant quavocat-stagiaire intervenant au côté du requérant devant le tribunal correctionnel dans le cadre de la même affaire jugée en première instance. Il ne peut donc pas être considéré comme un « avocat concerné » au sens où lentend le Gouvernement en faisant référence à la procédure en révision. Le courrier daté du 5 décembre 2012 émanant du greffier en chef et transmis à Me C. Lecuyer, absent de linstance en révision, à défaut du requérant pourtant seul à lorigine de la requête, relève manifestement dune erreur humaine (paragraphe 17 cidessus).

52.  Par conséquent, la Cour constate que le requérant, nayant pas bénéficié de la pratique invoquée par le Gouvernement, na pas eu la possibilité de prendre connaissance des conclusions litigieuses et de les commenter dans des conditions satisfaisantes, ce qui a méconnu son droit à une procédure contradictoire.

53.  Partant, il y a eu violation de larticle 6 § 1 de la Convention.

II.  SUR LAPPLICATION DE LARTICLE 41 DE LA CONVENTION

54.  Aux termes de larticle 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare quil y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet deffacer quimparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, sil y a lieu, une satisfaction équitable. »

A.  Dommage

55.  Le requérant demande le versement dune somme de 15 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral quil aurait subi.

56.  Le Gouvernement estime que le constat de violation vaudrait satisfaction équitable suffisante, conformément à la jurisprudence dominante de la Cour dans des situations similaires.

57.  La Cour estime le dommage moral subi par le requérant suffisamment réparé par le constat de violation auquel elle parvient.

B.  Frais et dépens

58.  Le requérant demande également 4 200 EUR pour les frais et dépens engagés devant la Cour de révision et la Cour. Il produit deux factures, lune de 1 196 EUR pour la procédure devant la Cour de révision, lautre de 3 000 EUR concernant la saisine de la Cour.

59.  Le Gouvernement ne se prononce pas.

60.  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. Compte tenu des circonstances de lespèceseuls les frais engagés devant la Cour devront être pris en compte. La Cour estime dès lors raisonnable daccorder au requérant la somme de 3 000 EUR.

C.  Intérêts moratoires

61.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux dintérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À LUNANIMITÉ,

1.  Déclare la requête recevable concernant le grief tiré de labsence de communication des conclusions du procureur général devant la Cour de révision et irrecevable pour le surplus ;

 

2.  Dit quil y a eu violation de larticle 6 § 1 de la Convention ;

 

3.  Dit que le constat dune violation fournit en soi une satisfaction équitable suffisante pour le dommage moral subi par le requérant ;

 

4.  Dit

a)  que lÉtat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où larrêt sera devenu définitif conformément à larticle 44 § 2 de la Convention, la somme de 3 000 EUR (trois mille euros), plus tout montant pouvant être dû par le requérant à titre dimpôt, pour frais et dépens ;

b)  quà compter de lexpiration dudit délai et jusquau versement, ces montants seront à majorer dun intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

 

5.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 30 mai 2017, en application de larticle 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

              Stanley NaismithRobert Spano
GreffierPrésident