Un gouvernement qui ne lutte pas contre la stigmatisation de certains prisonniers viole les articles 3 et 13 de la Convention

L'arrêt S.P. et autres c. Russie du 02 mai 2023 concerne le traitement inhumain et dégradant des requérants dans différents établissements pénitentiaires russes, où ils avaient été classé dans la catégorie informelle des "parias".

 

La CEDH juge que l'existence même d'une telle hiérarchie s'analyse en un traitement inhumain et dégradant.

Les faits : instauration d'une hiérarchie en prison avec des parias

Les 11 requérants sont russes, condamnés pour des crimes.

 

Les établissements pénitentiaires où ils étaient détenus étaient régies par un code de conduite informel en vertu duquel les prisonniers étaient divisés en quatre castes : l'élite criminelle ; les collaborateurs qui faisaient régner l'ordre aux côtés des agents pénitentiaires ; les gars, qui constituent la grande majorité des détenus ; et les parias.

 

Les requérants affirment avoir été catégorisés comme parias et s'être ainsi vu confier des tâches considérées par les autres comme dégradantes, sous peine de violence ou de sévices sexuels.

 

Ils n'avaient pas le droit de toucher les autres prisonniers ou leurs biens, devaient vivre dans des quartiers séparés et manger dans des endroits spéciaux avec des couverts spéciaux.

 

Ces pratiques auraient été tacitement approuvées par le personnel pénitentiaire et cette stigmatisation les aurait suivi d'un établissement à l'autre, sans qu'il ne serve à rien de se plaindre auprès des autorités, qui sont complices de ce système

hiérarchique informel.

 

 

 

La décision de la CEDH : violation des articles 3 et 13 de la Convention en raison de l'inaction des autorités

 

La Cour rappelle que l'article 3 de la Convention interdit en termes absolus la torture et les traitements inhumains ou dégradants, quelles que soient les circonstances.

 

Jugeant les observations des requérants crédibles et cohérentes, notant l'existence de recherches approfondis sur le sujet et tenant compte du fait que le gouvernement russe n'a pas répondu aux accusations des requérants, la Cour a estimé :

  • que l'existence de cette hiérarchie était établie;

 

  • que les requérants avaient été affectés au groupe le plus bas de cette hiérarchie;

 

  • que les autorités nationales étaient (ou auraient dû être) conscientes de l'existence de cette hiérarchie et de la vulnérabilité particulière de ceux qui sont à son rang inférieur;

 

  • la stigmatisation, la ségrégation physique et sociale, l'affectation à des travaux subalternes, le refus de répondre à des besoins fondamentaux d'hygiène, les menaces de violence et les violences, qui ont duré plusieurs années avaient dépassé les souffrances inhérentes à la détention et caractérisaient un traitement inhumain et dégradant.

 

Sur la responsabilité de l'État, la Cour relève que les plaintes des requérants n'avaient pas amené les agents pénitentiaires à prendre des mesures et que les prisonniers tortionnaires n'avaient pas été poursuivis, ces lacunes évidentes signalant un problème structurel du système pénal russe.

 

En outre, les requérants n'ont disposé d'aucun recours effectif pour se plaindre de leur situation.

 

La Cour conclut donc à la violation de l'article 3 de la Convention et à la violation de l'article 13 de la Convention.