PREMIÈRE SECTION Requête no 1785/08

présentée par A* F* V** F**contre la Suisse le 4 janvier 2008

Représenté par Maître Christophe MEYER - Avocat


EXPOSÉ DES FAITS

 

EN FAIT

 

Le requérant, M. A* F* V** F**, est un ressortissant péruvien, né en 1965 et qui résidait, avant son départ de Suisse, à Genève. Il est représenté devant la CEDH par Me Christophe Meyer, avocat à Strasbourg.

 

A.  Les circonstances de l'espèce

 

Le requérant épousa, le 21 juin 1992, une ressortissante suisse, M.H. Il fut alors mis au bénéfice d'un titre de séjour régulièrement renouvelé. En 1995, il fit l'objet de poursuites pénales pour viol et contrainte sexuelle. La procédure fut classée, faute de charges suffisantes, par le Procureur général du canton de Genève, le 1er septembre 1995. Par ordonnance du 24 novembre 1995, la chambre d'accusation du canton de Genève confirma la décision de classement. Le tribunal de première instance du canton de Genève prononça, le 21 mars 1999, le divorce du requérant d'avec M.H. Par jugement du 5 juillet 2000, le tribunal correctionnel de Rolle condamna le requérant à vingt mois d'emprisonnement ferme, et à dix ans d'expulsion pour acte d'ordre sexuel commis sur une personne incapable de résistance et abus de détresse. L'expulsion fut toutefois assortie du sursis pendant cinq ans. Sur pourvoi du parquet, la cour de cassation pénale du canton de Vaud porta la peine d'emprisonnement à trois ans, confirmant le jugement pour le surplus. A une date indéterminée, le requérant fut incarcéré pour purger sa peine.
Par arrêté du 28 octobre 2002, le département de justice, de la police et de la sécurité du canton de Genève prononça l'expulsion du requérant pour une durée indéterminée. Le requérant saisit la commission cantonale de recours de la police des étrangers (ci-après : la commission de recours). L'instruction du recours fut suspendue. Le requérant fut mis au bénéfice de la libération conditionnelle dès le 1er décembre 2002. Le 5 avril 2003, le requérant épousa une ressortissante binationale, suisse et allemande, A.V.K. Cette dernière resta cependant en Allemagne le temps d'achever sa formation, le requérant demeurant à Genève. Le requérant et son épouse vécurent ensemble à Genève dès le début de l'année 2005.  Le requérant demanda en vain à l'Office cantonal de la population de lui délivrer un titre de séjour. Face au refus de l'administration, le requérant saisit à nouveau la commission de recours. Celle-ci joignit son recours avec celui qu'il avait précédemment interjeté et le débouta par décision du 19 mai 2005. Le requérant recourut alors devant le Tribunal fédéral. Son recours fut admis par arrêt du 9 janvier 2006. Le Tribunal fédéral retint que l'accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse et la Communauté européenne sur la libre circulation des personnes était seul applicable en l'espèce et qu'il y avait lieu de renvoyer la cause à la commission de recours pour qu'elle vérifie si le refus du titre de séjour et l'expulsion étaient compatibles avec l'accord international précité. Le requérant fit de nouveau l'objet de poursuites pénales en décembre 2006 pour contrainte sexuelle. Par décision du 7 février 2007, le Procureur général du canton de Genève classa la procédure faute de charges suffisantes. Par décision du 14 février 2007, la commission de recours rejeta à nouveau les deux recours interjetés par le requérant contre son expulsion et contre le refus de lui octroyer un titre de séjour. Le requérant saisit le Tribunal fédéral qui le débouta par arrêt du 25 juin 2007. La juridiction considéra que : « Le requérant a, par son comportement au mois de décembre 2006, levé tous les doutes que l'on pouvait avoir au sujet de sa prise de conscience de la gravité des actes qu'il avait commis autrefois et de l'efficacité du suivi psychiatrique dont il a bénéficié, déjà en détention et jusqu'à la fin du délai d'épreuve de quatre ans fixé lors de sa libération conditionnelle, soit jusqu'à fin décembre 2006. La condamnation à trois ans de réclusion pour actes d'ordre sexuel sur une personne incapable de discernement faisait déjà suite à une procédure pénale pour viol et contrainte sexuelle, classée faute de charges suffisantes en 1995. Le fait que la plainte du 16 décembre 2006 pour contrainte sexuelle, ait également été classée le 7 février 2007 ne permet pas d'en conclure que le recourant ne présente pas une menace pour l'ordre public. (...) Au demeurant, contrairement à ce qu'il soutient devant le Tribunal fédéral, il n'est pas pertinent, pour retenir l'existence d'un risque de récidive, que la nouvelle plainte pénale a été classée, dès lors que le comportement personnel de l'intéressé peut également réaliser les conditions d'une menace actuelle (...)»
Le requérant allègue que l'avocat qui le représentait a reçu l'arrêt du Tribunal fédéral le 8 juillet 2007. Le requérant quitta le territoire suisse le 8 février 2008.

 

B.  Le droit international et interne pertinents

 

1. L'annexe I à l'accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse et la Communauté européenne sur la libre circulation des personnes
Article 3 – Membres de la famille
« 1.  Les membres de la famille d'une personne ressortissant d'une partie contractante ayant un droit de séjour ont le droit de s'installer avec elle. Le travailleur salarié doit disposer d'un logement pour sa famille considéré comme normal pour les travailleurs nationaux salariés dans la région où il est employé sans que cette disposition puisse entraîner de discriminations entre les travailleurs nationaux et les travailleurs en provenance de l'autre partie contractante.
2.  Sont considérés comme membres de la famille, quelle que soit leur nationalité:
a. son conjoint et leurs descendants de moins de 21 ans ou à charge ;
(...) »
Article 5 – Ordre public
« 1.  Les droits octroyés par les dispositions du présent accord ne peuvent être limités que par des mesures justifiées par des raisons d'ordre public, de sécurité publique et de santé publique.
(...) »
2. La loi fédérale sur le séjour et l'établissement des étrangers du 26 mars 1931
Article 10
« 1. L'étranger ne peut être expulsé de Suisse ou d'un canton que pour les motifs suivants:
a. s'il a été condamné par une autorité judiciaire pour crime ou délit;
b. si sa conduite, dans son ensemble, et ses actes permettent de conclure qu'il ne veut pas s'adapter à l'ordre établi dans le pays qui lui offre l'hospitalité ou qu'il n'en est pas capable
(...)
4. La présente loi ne touche en rien à l'expulsion, prévue par la Constitution, des étrangers qui compromettent la sûreté intérieure ou extérieure de la Suisse, ni à l'expulsion prononcée par le juge pénal. »
3. Le code pénal suisse du 21 décembre 1937
Article 55 – Expulsion (abrogé le 1er janvier 2007)
« 1. Le juge pourra expulser du territoire suisse, pour une durée de trois à quinze ans, tout étranger condamné à la réclusion ou à l'emprisonnement. En cas de récidive l'expulsion pourra être prononcée à vie.
2. L'autorité compétente décidera si, et à quelles conditions, l'expulsion du condamné libéré conditionnellement doit être différée à titre d'essai.
3. Si le condamné libéré conditionnellement s'est bien conduit jusqu'à la fin du délai d'épreuve, l'expulsion qui avait été différée ne sera plus exécutée. Lorsque l'expulsion n'avait pas été différée, sa durée courra du jour où le condamné libéré conditionnellement a quitté la Suisse.
(...) »
Article 189 – Contrainte sexuelle
« 1. Celui qui, notamment en usant de menace ou de violence envers une personne, en exerçant sur elle des pressions d'ordre psychique ou en la mettant hors d'état de résister l'aura contrainte à subir un acte analogue à l'acte sexuel ou un autre acte d'ordre sexuel, sera puni d'une peine privative de liberté de dix ans au plus ou d'une peine pécuniaire.
(...) »
Article 191 – Acte d'ordre sexuel commis sur une personne incapable de discernement ou de résistance
« Celui qui, sachant qu'une personne est incapable de discernement ou de résistance, en aura profité pour commettre sur elle l'acte sexuel, un acte analogue ou un autre acte d'ordre sexuel, sera puni d'une peine privative de liberté de dix ans au plus ou d'une peine pécuniaire. »
Article 193 – Abus de détresse
«1. Celui qui, profitant de la détresse où se trouve la victime ou d'un lien de dépendance fondé sur des rapports de travail ou d'un lien de dépendance de toute autre nature, aura déterminé celle-ci à commettre ou à subir un acte d'ordre sexuel sera puni d'une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d'une peine pécuniaire.
(...) »

 

GRIEFS

 

Invoquant les articles 1, 6 § 2, 7 et 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme, le requérant soutient que le refus de lui octroyer un titre de séjour et la décision de l'expulser portent atteinte au droit au respect de sa vie privée et familiale et violent la présomption d'innocence.

QUESTION AUX PARTIES

Y a-t-il eu violation du droit du requérant au respect de sa vie privée et familiale au sens de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme ?