CINQUIEME SECTION Requête n°2260/10

présentée par D* T*M* contre la France le 29 décembre 2009

Représenté par Maître Christophe MEYER - Avocat

EXPOSÉ DES FAITS


EN FAIT

 

Le requérant, M. D* T**-M**, est un ressortissant congolais, né en 1970 et résidant à Lodève. Il est représenté devant la Cour européenne des droits de l'Homme par Me Christophe Meyer, avocat à Strasbourg.

 

A. Les circonstances de l'espèce

 

Le requérant a été reconnu réfugié de nationalité congolaise sous le mandat du Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés au Cameroun. L'attestation de réfugié qui lui fut délivrée le 23 décembre 2002 précisait qu'elle était valable jusqu'au 31 décembre 2004. Elle précisait également que le requérant était accompagné de son épouse, porteuse d'une attestation de réfugié, et de ses enfants (X, née le 28 décembre 1994 à Bukavu en République démocratique du Congo, et Y, née le 4 juin 2001 au Cameroun). Un troisième enfant du couple, Z, naquit le 3 septembre 2004 à Yaoundé. Le requérant ne le vit pas naître car il quitta le Cameroun pour venir demander l'asile en France.
Entré en France en février 2004, il obtint le statut de réfugié par une décision de la Commission des recours des réfugiés (CRR) du 8 février 2007.
Le 30 avril 2007, l'OFPRA lui délivra un certificat de naissance, de mariage ainsi qu'un livret de famille tenant lieu d'actes d'état civil. La préfecture de l'Hérault lui délivra dans le même temps une carte de résident de dix ans.
 
Par courrier du 20 juin 2007, le requérant sollicita au titre du regroupement familial des visas de long séjour au profit de sa femme et de ses trois enfants. Par courrier du 28 juin 2007, le ministère des Affaires étrangères informa le requérant qu'il allait prendre attache avec l'OFPRA pour vérifier la composition familiale avant de saisir les services consulaires français à Yaoundé en vue de la constitution d'un dossier de demande de visa de long séjour par les membres de sa famille. Il précisa que dans le cas où l'authentification des actes d'état civil s'avérerait nécessaire, l'instruction de la demande de visa pourrait impliquer des délais supplémentaires.

 

Par courrier du 13 février 2008, la sous direction des visas du ministère de l'Immigration, de l'Intégration, de l'Identité nationale et du Co-développement informa le requérant de la convocation prochaine de sa famille au consulat de Yaoundé.
L'épouse du requérant fut convoquée au consulat le 21 février 2008. Après avoir fourni les pièces demandées pour la constitution du dossier, les autorités consulaires lui demandèrent de prendre contact avec la délégation de l'UNHCR/Cameroun pour l'établissement de titres de voyage pour elle et ses enfants conformément à la Convention du 28 juillet 1951. Il lui fut assuré que lorsqu'elle ramènerait ceux-ci au consulat, un récépissé de dépôt de dossier de visas lui serait délivré. Le 18 mars 2008, l'épouse du requérant déposa ses quatre titres de voyage pour elle et ses enfants auprès du consulat mais ne reçut pas de récépissé constatant le dépôt de son dossier.
Informé de cette situation, le requérant saisit diverses autorités pour avoir des informations sur cette demande de visa de long séjour, en vain.
Le 30 mai 2008, le requérant forma un recours contre le refus implicite des autorités consulaires auprès de la Commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France.
Le 11 juin 2008, le requérant introduisit un référé suspension devant le Conseil d'Etat à l'encontre de cette décision implicite de rejet. Le même jour, le requérant déposa auprès du Conseil d'Etat une requête en excès de pouvoir contre ladite décision.
Par une ordonnance du 23 juin 2008, le juge des référés du Conseil d'Etat rejeta la requête en référé suspension au motif que la Commission de recours contre le refus de visa n'avait pas encore statué.
Le 30 juillet 2008, deux mois sans réponse de cette commission valant un rejet implicite, le requérant déposa un nouveau référé-suspension et un référé-liberté en date du 3 août 2008.
Par une ordonnance du 13 août 2008, le juge des référés du Conseil d'Etat rejeta la requête en référé-liberté.
Par un courrier du 13 août 2008, le requérant fut informé que l'audience de référé-suspension était fixée au 10 septembre 2008. Présent à l'audience ce jour là, le requérant découvrit un mémoire du ministre de l'Immigration mettant en cause les actes de naissance de ses enfants Michèle et Benjamin, qui ne lui a pas été communiqué. Suite à cette audience, le requérant déposa une note en délibéré.
Le 16 septembre 2008, le juge des référés informa le requérant qu'il avait décidé de rouvrir l'instruction de son affaire et qu'il avait communiqué la note en délibéré au ministre de l'Immigration compétent.
 
Par une ordonnance du 26 septembre 2008, le Conseil d'Etat rejeta la requête en référé-suspension. Il estima que le moyen tiré de ce que le motif de refus à la demande de visa — le caractère apocryphe des actes de naissance produits concernant X et Y — ne pouvait légalement fonder la décision de refus, n'était pas de nature en l'état de l'instruction, à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de cette décision, compte tenu du résultat des vérifications d'état civil effectuées par le consulat général de France à Yaoundé et de ce que le caractère frauduleux de la demande était de nature à ce que soient refusés les visas sollicités non seulement pour ces deux enfants, mais également pour son épouse et son troisième enfant au titre de la procédure de regroupement familial. Pour la même raison, il rejeta le moyen tiré de la méconnaissance de la convention internationale aux droits de l'enfant, de celui tiré de la méconnaissance de la directive (CE) n° 2003/86 du 22 septembre 2003 relative au droit au regroupement familial, ainsi que des moyens tirés de ce que la séparation de sa famille depuis plus de quatre ans constituerait un traitement inhumain proscrit par l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et de ce que la décision attaquée introduirait une différence de traitement non justifiée entre étrangers et ressortissants français ou ressortissants d'un Etat membre de l'Union européenne et porterait une atteinte excessive à son droit à une vie privée et familiale normale.
Dans le cadre du recours en excès de pouvoir, le ministre compétent produisit un mémoire en défense le 6 octobre 2008. Le 23 octobre 2008, le requérant répliqua en fournissant les preuves des relations épistolaires entretenues avec sa famille et les reçus de transfert d'argent à destination de sa famille (figure également au dossier une attestation de composition familiale du UNHCR/Cameroun datée du 26 septembre 2008 sur laquelle figure son épouse et ses trois enfants). Quant au moyen pris du caractère prétendument frauduleux des actes de naissance de ses enfants X et Y, il fit valoir que les opérations de vérification des documents n'avaient été engagées qu'à partir du 18 février 2009, soit cinq mois après que le juge des référés a donné par anticipation crédit au doute soulevé par l'administration au renfort de son refus de délivrer les visas concernés. Le requérant produisit à cet égard les copies de quittances de frais d'instruction des demandes de visa datées du 18 février 2009.
Par un arrêt du 8 juillet 2009, notifié le 5 août, le Conseil d'Etat rejeta la demande d'annulation de la décision implicite. Il considéra qu'il ressortait des pièces du dossier que le motif du refus de visa était tiré du caractère frauduleux de documents produits ne permettant pas de considérer comme établi le lien de filiation allégué. Il rappela à cet égard que la levée d'acte effectuée auprès des services de l'état-civil camerounais par les autorités françaises à des fins de vérification des actes d'état civil produits par le requérant pour les deux enfants nés dans ce pays et concernés par la demande de visa, avait conduit à la délivrance, sous les mêmes numéros de référence, de deux actes de naissance totalement différents, concernant des tiers. Le Conseil d'Etat estima à ce propos que la circonstance que le caractère frauduleux de l'un des deux actes précités n'est pas démontré avec certitude par l'administration n'est pas de nature à créer un doute quant à la démonstration du caractère apocryphe du second acte et conclut que « dans ces conditions, ni la production de déclarations de naissance provenant de la maternité de Yaoundé et du centre médical de la police de Yaoundé, ni l'allégation selon laquelle cette discordance proviendrait d'un dysfonctionnement des services d'état civil camerounais, ne permettent d'écarter le caractère frauduleux d'au moins un des documents ainsi produits ». Il précisa enfin que le caractère frauduleux d'au moins un des documents produits était de nature à ce que soient refusés l'ensemble des visas sollicités dès lors que les demandes ont été présentées au titre de la même procédure de regroupement familial.
A la suite de cette décision, le requérant contacta le bureau du HCR/Paris et le directeur de l'OFPRA.
Par un courrier du 18 août 2009, le HCR lui répondit que d'après les informations communiquées par la délégation de l'UNHCR/Cameroun, le Consulat de France à Yaoundé était prêt à délivrer un visa à son épouse et à deux de ses enfants, Y et Z. Concernant l'acte de naissance de sa fille X, il lui était conseillé de faire une demande de jugement supplétif d'acte de naissance auprès du tribunal de grande instance de Yaoundé. Par un courrier du 21 août 2009, le directeur de l'OFPRA écrivit à la Cimade, également saisie du dossier, que ses services, par note du 23 juillet 2007, avaient certifié sa situation familiale auprès de la sous-direction des visas à Nantes, seule administration compétente en matière de regroupement familial des étrangers.
L'épouse du requérant saisit le tribunal de première instance de Yaoundé afin de faire établir un jugement supplétif de l'Etat civil de l'enfant X. Par un jugement du 27 octobre 2009, ce tribunal se déclara incompétent.


GRIEFS

 

1.  Invoquant l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme, le requérant se plaint du refus des autorités de délivrer des visas pour ses enfants et son épouse. Ce refus est fondé sur un doute existant sur la validité des actes de naissance, lequel doute a été soulevé devant le juge des référés alors même qu'aucune vérification n'avait encore été entreprise sur ces actes. Il dénonce une présomption de fraude contraire au paragraphe 2 de l'article 8 dès lors qu'elle n'est pas prévue et pas nécessaire et estime que c'est la présomption inverse qui devrait être appliquée. Il explique subir la séparation d'avec sa famille depuis plus de cinq ans, ce qui constitue une grande souffrance qui a des répercussions sur sa santé.
2. Sous l'angle de l'article 6 § 2 de la Convention européenne des droits de l'Homme, le requérant allègue que l'Etat l'accuse de la production d'actes frauduleux, infraction pénale, alors que les garanties de la procédure pénale lui ont été refusées. Il parle d'un détournement de procédure grossier et manifeste.
3. Invoquant les articles 6 § 1 et 14 de la Convention européenne des droits de l'Homme, le requérant se plaint de n'avoir pas eu un procès équitable et dénonce une politique empêchant le regroupement familial par des moyens qui pénalisent les enfants et ne tiennent pas compte des usages administratifs des pays de provenance des réfugiés.
 
QUESTION AUX PARTIES

 

Compte tenu des documents fournis par le requérant, dont notamment les attestations du Haut commissariat des réfugiés/Cameroun et de l'OFPRA sur la composition de sa famille, le refus de faire droit aux demandes de visas d'entrée en France de son épouse et des enfants X, Y et Z, constitue-t-il en l'espèce une ingérence dans le droit au respect de la vie familiale du requérant, au sens de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme? Y aurait-il des éléments de preuve de nature à infirmer les documents et les attestations précitées ? Dans l'affirmative, celle-ci se justifie-t-elle au regard du paragraphe 2 de l'article 8 ?

 

Le Gouvernement est invité à fournir des informations sur la procédure de demande de visa pour les familles de réfugiés.