CEDH - Arrêt Tanda-Muzinga contre France

10 juillet 2014

Droit au regroupement familial et preuve de la filiation des enfants

 

CINQUIÈME SECTION

 

 

 

 

 

 

AFFAIRE TANDA-MUZINGA c. FRANCE

 

(Requête no 2260/10)

 

 

 

ARRÊT

 

 

 

 

 

STRASBOURG

 

10 juillet 2014

 

 

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Tanda-Muzinga c. France,

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

          Mark Villiger, président,
          Angelika Nußberger,
          Boštjan M. Zupančič,
          Ann Power-Forde,
          Vincent A. De Gaetano,
          André Potocki,
          Helena Jäderblom, juges,
et de Claudia Westerdiek, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 17 juin 2014,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 2260/10) dirigée contre la République française et dont un ressortissant congolais, M. Deo Tanda-Muzinga (« le requérant »), a saisi la Cour le 29 décembre 2009 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  Le requérant est représenté par Me C. Meyer, avocat à Strasbourg. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme E. Belliard, directrice des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.

3. Le requérant allègue en particulier que les obstacles rencontrés pour obtenir des visas au profit de sa femme et de ses enfants dans le cadre de la procédure dite de « famille rejoignante » d’un réfugié, constituent une violation de son droit au respect de sa vie familiale garanti par l’article 8 de la Convention.

4.  Le 21 septembre 2010, la requête a été communiquée au Gouvernement.

 

EN FAIT

 

I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

 

5.  Le requérant est né en 1970 et réside à Venissieux.

 

A.  Faits au moment de l’introduction de la requête

 

6.  En l’an 2000, le requérant fut reconnu réfugié de nationalité congolaise sous le mandat du Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés au Cameroun (ci-après HCR/Cameroun). L’attestation de réfugié précisait qu’il était accompagné de son épouse, également porteuse d’une telle attestation, et de ses enfants (Vanessa Ntabugi, née en République démocratique du Congo en 1994 et Michelle Tanda-Ngubiri, née en 2001 au Cameroun). Un troisième enfant du couple (Benjamin Tanda) naquit à Yaoundé (Cameroun) en 2004 mais le requérant ne le vit pas naître car il avait quitté le Cameroun pour demander l’asile en France.

7.  Le 19 juillet 2004, l’Office de protection des réfugiés et apatrides (ci‑après l’OFPRA) rejeta sa demande. Le 6 août 2004, le requérant exerça un recours contre cette décision. Par une décision du 8 février 2007, la Commission des recours des réfugiés (ancienne Commission nationale du droit d’asile, CNDA) octroya au requérant la qualité de réfugié. Il obtint une carte de résident pour dix ans et l’OFPRA lui délivra, en avril 2007, un certificat de mariage ainsi qu’un livret de famille tenant lieu d’acte d’état civil.

8.  Par un courrier du 26 juin 2007, le requérant sollicita au titre du regroupement familial, dans le cadre de la procédure de « famille rejoignante » de réfugié statutaire (paragraphe 36 ci-dessous), des visas de long séjour au profit de sa femme et de ses trois enfants. Par un courrier du 28 juin 2007, la sous-direction de la circulation des étrangers du ministère des Affaires étrangères informa le requérant qu’elle allait prendre attache avec l’OFPRA pour vérifier, sur la base des déclarations qui avaient permis l’admission du requérant au statut de réfugié, si ces personnes étaient bien incluses dans la composition familiale, avant de saisir les services consulaires français à Yaoundé en vue de la constitution d’un dossier de demande de visas de long séjour.

9.  Par un courrier du 13 février 2008, la sous-direction des visas du ministère de l’Immigration informa le requérant que les services consulaires à Yaoundé allaient convoquer sa famille.

10.  L’épouse du requérant fut convoquée au consulat le 21 février 2008. Après qu’elle eût fourni les pièces demandées pour la constitution du dossier, les autorités consulaires lui demandèrent de prendre contact avec la délégation du HCR/Cameroun pour l’établissement de titres de voyage pour elle et ses enfants conformément à la Convention du 28 juillet 1951. Il lui fut assuré que lorsqu’elle ramènerait ces documents au consulat, un récépissé de dépôt de dossier de visas lui serait délivré. Le 18 mars 2008, l’épouse du requérant déposa auprès du consulat un titre de voyage établi à son nom après un avis favorable du ministère des Relations extérieures du Cameroun. Ce titre, pouvant tenir lieu de passeport national, indiquait qu’elle était accompagnée de ses trois enfants. Elle ne reçut pas de récépissé constatant le dépôt de son dossier.

Sans nouvelles de l’instruction de sa demande, le requérant saisit diverses autorités, y compris le consulat à Yaoundé, pour obtenir des informations sur les raisons de la non délivrance des visas, en envoyant copie de l’ensemble des pièces à sa disposition, dont sa carte de résident, les actes reconstitués de l’OFPRA, le certificat de réfugié de son épouse, l’attestation tenant lieu d’acte de naissance de sa fille aînée, et les actes de naissance de ses deux autres enfants.

11.  Le 30 mai 2008, le requérant forma un recours contre le refus implicite des autorités consulaires auprès de la Commission de recours contre les décisions de refus de visas d’entrée en France (ci-après « Commission de recours »).

12.  Par un courrier du 3 juin 2008, l’OFPRA répondit à un courrier du requérant du 24 janvier 2008 en ces termes :

« J’ai l’honneur de vous informer que l’Office a, le 23 juillet 2007, certifié votre situation de famille auprès de la sous-direction des visas. Vous êtes inscrit auprès de l’Office en tant qu’époux de Madame Julie Ngubiri Zirirane et père de trois enfants (Vanessa Ntabugi née le 28 décembre 1994 ; Michelle Tanda née le 4 juin 2001 et Benjamin Tanda né le 3 septembre 2004). J’observe par ailleurs que votre famille a été ou sera prochainement invitée à déposer une demande de visa auprès des autorités consulaires à Yaoundé ».

13.  Le 11 juin 2008, le requérant introduisit un référé suspension devant le Conseil d’État à l’encontre de la décision implicite de rejet des autorités consulaires.

14.  Le 12 juin 2008, le Conseil d’État accusa réception du recours pour excès de pouvoir formé par le requérant en annulation de cette décision implicite.

15.  Par une ordonnance du 23 juin 2008, le juge des référés du Conseil d’État rejeta la requête en référé suspension au motif que la commission de recours n’avait pas encore statué.

16.  Le 30 juillet 2008, après deux mois sans réponse de cette Commission valant un rejet implicite, le requérant déposa un nouveau référé-suspension ainsi qu’un référé-liberté en date du 3 août 2008.

17.  Par une ordonnance du 13 août 2008, le juge des référés du Conseil d’État rejeta la requête en référé-liberté.

18.  Par un courrier du 13 août 2008, le requérant fut convoqué à l’audience de référé-suspension fixée au 10 septembre 2008. Présent à l’audience ce jour-là, le requérant découvrit un mémoire du ministre de l’Immigration, qu’il ne reçut que le 12 septembre, mettant en cause les actes de naissance de ses enfants Michelle et Benjamin. À la suite de cette audience, le requérant déposa une note en délibéré.

19.  Selon les observations du Gouvernement, les levées d’actes réalisées les 13 et 23 avril 2008 auprès des autorités locales compétentes avaient révélé que l’acte de naissance no 1271 détenu par le centre d’état civil du 4e arrondissement de Yaoundé concernait la naissance d’un garçon et non celle de Michelle Tanda et l’acte de naissance no 78/2004 détenu par le centre d’état civil du 2e arrondissement de Yaoundé concernait la naissance d’une fille et non celle de Benjamin Tanda.

20.  Le 16 septembre 2008, le juge des référés informa le requérant qu’il avait décidé de réouvrir l’instruction de l’affaire et qu’il avait communiqué la note en délibéré au ministre de l’Immigration compétent.

21.  Par une ordonnance du 26 septembre 2008, le Conseil d’État rejeta la requête en référé-suspension :

« [le requérant] soutient que (...) la condition d’urgence est remplie dès lors qu’il vit séparé de son épouse et de ses enfants depuis près de quatre ans ; [que la décision attaquée] est entachée d’erreur de droit dès lors qu’en refusant la délivrance des visas du fait de l’absence de certains documents d’état civil, elle a méconnu l’article 11 de la directive (CE) no200/86 du 22 septembre 2003 relative au droit au regroupement familial ; (...) que les documents produits ne peuvent être considérés comme apocryphes ; qu’il fournit des éléments établissant ses liens familiaux avec son épouse et ses enfants ; que les actes de naissance de ses enfants ont été constatés par le Haut‑commissariat aux réfugiés ;

(...) Le ministre soutient (...) que la condition d’urgence n’est pas remplie dès lors que la séparation est imputable au requérant ; que ce dernier n’établit pas avoir conservé des relations épistolaires ou téléphoniques régulières ni avoir participé à l’entretien de sa famille depuis son départ ; que le moyen tiré de la méconnaissance de la directive du 22 septembre 2003 est inopérant dès lors qu’elle a été correctement transposée en droit national et ne saurait donc avoir d’effet direct ; que ce texte n’impose pas aux autorités nationales de délivrer un visa à un demandeur qui n’a pas établi son lien de filiation avec le réfugié; que la production d’actes frauduleux constitue un motif d’ordre public justifiant le rejet des demandes de visas présentées dans un cadre familial ; (...)

Considérant qu’il résulte des pièces (...) que [le requérant] qui bénéficie du statut de réfugié en France, s’est vu opposer un refus à la demande de visas présentée pour son épouse Julie B. et ses trois enfants Vanessa C., Michelle D. et Benjamin D., au motif que la filiation avec les deux derniers de ces enfants n’était pas établie du fait du caractère apocryphe des actes de naissance produits ; que le moyen tiré de ce qu’un tel motif ne pouvait légalement fonder la décision de refus n’est pas de nature, en l’état de l’instruction, à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de cette décision, compte tenu du résultat des vérifications d’état civil effectuées par le consulat général de France à Yaoundé et de ce que le caractère frauduleux de la demande était de nature à ce que soient refusés les visas sollicités non seulement pour ces deux enfants, mais également pour son épouse et son troisième enfant (...) ».

22.  Le 6 octobre 2008, dans le cadre du recours en excès de pouvoir, le ministre compétent déposa un mémoire dans lequel il conclut au caractère frauduleux des actes de naissance de Michelle et Benjamin Tanda. Sur la violation alléguée des articles 3 et 8 de la Convention, il répondit qu’il avait déjà démontré que le requérant avait abandonné son épouse et ses enfants allégués, que le lien de filiation n’était pas établi et qu’il ne démontrait pas avoir conservé des relations avec eux. Le requérant répliqua en faisant valoir qu’une anomalie dans le référencement des actes de naissance ne permettait pas d’établir le caractère apocryphe ou frauduleux des documents produits par son épouse. Il releva tout d’abord, s’agissant de l’acte de naissance de Benjamin, « qu’il n’était pas certain que l’acte recherché par l’administration ait un rapport avec celui qui était concerné, dès lors qu’il semble comporter une référence dont le premier terme est constitué de trois chiffres, et non de deux (« ?78/2004) (voir paragraphe 19 ci-dessus), ce qui serait plus cohérent compte tenu de la date de son établissement, en septembre 2004 ». Il fit valoir que le ministre n’expliquait pas comment le HCR/Cameroun avait établi une attestation de composition familiale (attestation du 26 septembre 2008 sur laquelle figurent son épouse et ses trois enfants) et des documents officiels de voyage permettant les déplacements internationaux de la famille. Il rappela qu’il avait versé à l’instance des courriers du ministère camerounais des relations extérieures en dates des 11 mars et 13 août 2008 établis dans le cadre des vérifications effectuées en vue de l’établissement de ces documents de voyage (titre de voyage pour l’enfant Michelle établi le 26 août 2008 à la suite de l’avis favorable du 13 août 2008). Il ajouta que l’authenticité des autres documents versés à l’instance n’avait pas été mise en cause, à savoir la déclaration de naissance de Michelle, établie par l’hôpital de district de la Cité verte de Yaoundé, et la déclaration de naissance de Benjamin établie par le centre médical de la police de Yaoundé ainsi que les documents de voyage de ses deux premiers enfants établis le 26 août 2008. Il indiqua enfin que d’autres éléments versés à l’instance, des clichés photographiques et des attestations de versements de fond, invalidaient les objections du ministère de l’Immigration quant à la réalité de ses liens avec son épouse et ses enfants,

23.  Le 7 octobre 2008, le HCR/Cameroun établit une « attestation de filiation » selon laquelle le requérant et son épouse étaient les parents légitimes des dénommés Michelle Tanda-Ngubiri et de Benjamin Tanda.

24.  Par un courrier du 22 mai 2009, l’avocat du requérant lui fit savoir que l’audience devant le Conseil d’État s’était déroulée le 20 mai 2009 et que le rapporteur public avait proposé le rejet de son recours et suggéré qu’il procède à une rectification judiciaire au Cameroun des actes d’état civil des enfants concernés.

25.  Par un arrêt du 8 juillet 2009, notifié le 5 août, le Conseil d’État rejeta le pourvoi. Il rappela que la levée d’acte effectuée auprès des services de l’état-civil camerounais par les autorités françaises, à des fins de vérification des actes d’état civil pour les deux enfants nés dans ce pays, avait conduit à la délivrance, sous les mêmes numéros de référence, de deux actes de naissance totalement différents, concernant des tiers. Il estima que même si le caractère frauduleux de l’un des deux actes n’était pas démontré, cela ne créait pas de doute quant à la démonstration du caractère apocryphe du second acte et conclut que « dans ces conditions, ni la production de déclarations de naissance provenant de la maternité de Yaoundé et du centre médical de la police de Yaoundé, ni l’allégation selon laquelle cette discordance proviendrait d’un dysfonctionnement des services d’état civil camerounais, ne permettent d’écarter le caractère frauduleux d’au moins un des documents ainsi produits ». Il précisa enfin que le caractère frauduleux d’au moins un des documents produits était de nature à ce que soit refusé l’ensemble des visas sollicités.

26.  Le 16 juillet 2009, la psychologue du Comité inter-mouvements auprès des évacués (CIMADE) attesta de l’aggravation de l’état de santé psychique du requérant, décrivant un état dépressif tendant à s’aggraver. Elle fit valoir que « outre les traumatismes subis dans son pays, [le requérant] développe à présent une dépression réactionnelle liée à la séparation de sa famille subie depuis plusieurs années. (...) Alors qu’il était, en parallèle, engagé activement dans l’élaboration d’un projet d’insertion professionnelle, le requérant a de plus en plus de difficultés à effectuer ses démarches et glisse vers une certaine apathie ».

27.  Par un courrier du 17 juillet 2009, l’avocat du requérant lui confirma le rejet du pourvoi et lui précisa que les conclusions du rapporteur public n’étaient pas disponibles sous forme écrite.

28.  A la suite de cette décision, le requérant contacta le bureau du HCR/Paris et le directeur de l’OFPRA. Par un courrier du 18 août 2009, le premier lui répondit que d’après les informations communiquées par la délégation du Cameroun, le Consulat de France à Yaoundé était prêt à délivrer un visa à son épouse et à deux de ses enfants, Vanessa et Benjamin. Concernant l’acte de naissance de sa fille Michelle, il lui était conseillé de faire une demande de jugement supplétif d’acte de naissance auprès du tribunal de grande instance de Yaoundé. Par un courrier du 21 août 2009, le directeur de l’OFPRA écrivit à la Cimade, également saisie du dossier du requérant, lequel envisageait le transfert de son statut de réfugié dans un autre pays. Dans ce courrier, il rappela que ses services, par note du 23 juillet 2007, avaient certifié sa situation familiale auprès de la sous‑direction des visas à Nantes, seule administration compétente en matière de regroupement familial des étrangers.

29.  L’épouse du requérant saisit le tribunal de première instance de Yaoundé afin de faire établir un jugement supplétif de l’état civil de l’enfant Michelle. Par un jugement du 27 octobre 2009, ce tribunal se déclara incompétent. Le 24 février 2010, elle saisit le tribunal de grande instance de Yaoundé aux mêmes fins.

30.  Par une décision du 30 avril 2010, à la suite d’une nouvelle demande de la famille du requérant, les autorités consulaires refusèrent la délivrance des visas de long séjour.

31.  Selon le Gouvernement, de nouvelles vérifications effectuées en 2010 établirent que l’acte de naissance de Benjamin avait pu être authentifié mais que le caractère apocryphe, de nouveau vérifié, de l’acte de naissance produit pour Michelle avait conduit les autorités consulaires à maintenir les refus de visas opposés à l’ensemble de la famille.

32.  Le 18 juin 2010, le requérant saisit la Commission de recours contre la décision du 30 avril 2010. Celle-ci lui opposa un rejet implicite.

 

B.  Faits survenus postérieurement à la communication de la requête

 

33.  Le 20 septembre 2010, le requérant saisit le juge des référés du tribunal administratif de Nantes afin qu’il ordonne la suspension de l’exécution de la décision de rejet implicite de sa demande par la Commission de recours. Par une ordonnance du 28 octobre 2010, le juge des référés prononça la suspension de cette décision en raison du défaut de communication des motifs de rejet. Il ajouta ceci :

« (...) considérant qu’au surplus, en l’état de l’instruction, si les incertitudes subsistent quant aux liens de filiation en ce qui concerne l’un des trois enfants, Michelle, [le requérant] fait état, sans toutefois le produire, d’un jugement supplétif qui conforterait ses allégations ; Considérant qu’eu égard à la durée de la séparation entre le requérant et sa famille, la condition d’urgence est satisfaite ; (...) qu’il y a lieu d’enjoindre au ministre un nouvel examen de la demande de visa dans un délai d’un mois à compter de la notification de la présente ordonnance ».

34.  Selon le requérant, le 19 novembre 2010, l’avocat du HCR/Cameroun lui fit parvenir ainsi qu’à l’administration française la minute d’un jugement du tribunal de grande instance de Yaoundé rendu le 3 juin 2010 reconstituant l’acte de naissance de l’enfant Michelle. Il ressort de ce jugement qu’au lendemain de la naissance de Michelle, une déclaration de naissance avait été dûment établie par le médecin de l’hôpital de la Cité verte à Yaoundé et remise entre les mains de sa mère, aux fins d’établissement de l’acte de naissance de l’enfant auprès de la mairie de Yaoundé IV. Cependant,  ne sachant pas comment cette démarche administrative devait être réalisée selon les règles en vigueur au Cameroun, l’épouse du requérant avait confié cette déclaration à un tiers qui avait exigé et obtenu d’elle une somme de 20 000 francs CFA pour y procéder ; ce tiers lui avait remis un document présenté comme l’acte de naissance no 1271/2001, supposé établi et signé par le maire de Yaoundé IV. Le tribunal précisa que ce document étant un faux, l’acte de naissance de l’enfant Michelle n’avait jamais été établi, et il ordonna cet établissement.

35.  Par un courrier du 17 janvier 2011, le Gouvernement informa la Cour de la délivrance, le 8 décembre 2010, par les autorités consulaires françaises des visas de long séjour sollicités par l’épouse et les enfants du requérant. Il fit valoir que durant la période de réexamen, le requérant avait communiqué aux autorités consulaires le jugement du 3 juin 2010 dont il avait fait mention en cours de procédure sans le produire.

 

II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES ET PERTINENTS

 

36.  La procédure dite de « famille rejoignante » d’un réfugié statutaire n’est pas codifiée. Seul l’article L. 314-11 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) prévoit que :

 « Sauf si la présence de l’étranger constitue une menace pour l’ordre public, la carte de résident est délivrée de plein droit, sous réserve de la régularité du séjour :

(...) 8o A l’étranger qui a obtenu le statut de réfugié en application du livre VII du présent code ainsi qu’à son conjoint et à ses enfants dans l’année qui suit leur dix‑huitième anniversaire ou entrant dans les prévisions de l’article L 311-3 lorsque le mariage est antérieur à la date de cette obtention ou, à défaut, lorsqu’il a été célébré depuis au moins un an, sous réserve d’une communauté de vie effective entre les époux (...) ».

Selon le dépliant d’information destiné aux personnes sous la protection de l’OFPRA installées régulièrement en France, le réfugié adresse sa demande de rapprochement familial à la sous-direction de la circulation des étrangers. Puis, après validation de la composition de la famille par l’OFPRA, les membres de la famille doivent déposer une demande de visa de long séjour auprès du consulat territorialement compétent accompagnée des documents suivants : copie intégrale d’acte d’état civil, passeport, photographie. Le délai d’instruction est de deux mois sauf en cas de nécessité de procéder à une levée d’acte auprès des mairies locales. Si le consulat décide de procéder à cette vérification, il le notifie au demandeur. Dès lors, le délai d’instruction peut être prolongé d’un délai de quatre mois, renouvelable une fois. Le consulat peut refuser le visa si le lien de famille n’a pu être établi ou en cas de menace pour l’ordre public.

La décision de refus est susceptible de recours auprès de la Commission de recours dans les deux mois à compter de sa notification. Cette Commission peut soit rejeter le recours, soit recommander d’accorder le visa demandé. Si la Commission rejette le recours, ou si le ministère des Affaires étrangères confirme le refus de visa malgré l’avis favorable de la Commission, l’intéressé peut former, dans les deux mois, un recours en annulation. Ce recours était déposé, à l’époque des faits, devant le Conseil d’État. Depuis 2010, il l’est devant le tribunal administratif de Nantes.

37. L’article L. 211-1 du CESEDA prévoit que, pour entrer en France, tout étranger doit être muni des documents et visas exigés par les conventions internationales.  L’article L. 211-2 du même code précise que par dérogation aux dispositions de la loi no 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l’amélioration des relations entre l’administration et le public, les décisions de refus de visa d’entrée en France, prises par les autorités diplomatiques ou consulaires, ne sont pas motivées sauf dans les cas où le visa est refusé à l’étranger ayant obtenu le statut de réfugié (paragraphe 36 ci-dessus).

38.  La protection juridique et administrative que, selon l’article 721-2 alinéa 2 du CESEDA, l’OFPRA assure aux réfugiés consiste notamment à établir les documents d’état civil que ces personnes, du fait de leur statut, sont dans l’impossibilité de demander aux autorités de leur pays d’origine. Selon le site internet de l’OFPRA :

« Lors de leur arrivée en France, les réfugiés, apatrides et bénéficiaires de la protection subsidiaire ne possèdent bien souvent pas d’actes d’état civil, soit qu’aucun acte ne leur ait été dressé dans leur état d’origine, soit qu’ils ne puissent en réclamer une expédition aux services d’état civil de cet état. Afin de leur faciliter la preuve des évènements d’état civil les concernant, l’OFPRA a reçu une compétence générale pour leur établir des certificats attestant ces faits. Les actes et documents établis par l’Office ont la valeur d’actes authentiques (articles L. 721-3 et R. 722-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile). Ainsi, l’OFPRA, après enquête s’il y a lieu, reconstitue systématiquement les documents d’état civil pour le réfugié lorsque les évènements se sont produits dans le pays de sa nationalité ».

Les documents que l’OFPRA reconstitue sont les actes de naissance, de mariage et de décès.

39.  Le code civil accorde aux actes de l’état civil étranger une force probante. Depuis la loi du 14 novembre 2006 relative au contrôle de validité des mariages, l’article 47 de ce code est ainsi libellé:

« Tout acte de l’état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d’autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l’acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. »

Dans sa décision no 2006-542 DC du 9 novembre 2006, le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur l’article 7 de la loi du 14 novembre 2006 ayant inséré dans la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations une dérogation, selon laquelle, en cas de vérification d’actes d’état civil auprès d’autorités étrangères, l’absence de réponse de la part de l’autorité administrative dans un délai de huit mois vaut décision de rejet de la demande. Les auteurs du recours soutenaient que cette disposition portait atteinte au droit de mener une vie familiale normale en instaurant un mécanisme de vérification qui permet à l’administration de s’opposer, pendant une durée excessive, à une demande faite au titre du regroupement familial. Le Conseil constitutionnel motiva sa décision de rejet comme suit :

« Considérant que le législateur n’a ni modifié les règles de fond applicables à la mise en œuvre de la procédure de regroupement familial ni remis en cause le droit des étrangers dont la résidence en France est stable et régulière de faire venir auprès d’eux leur conjoint et leurs enfants mineurs ; que si il a été dérogé au droit commun en portant de deux à huit mois le délai à l’issue duquel le silence gardé par l’administration vaut décision de rejet, c’est seulement en cas de doute sur la validité des actes d’état civil étrangers et compte tenu des difficultés inhérentes à leur vérification. (...) ».

40.  Selon la jurisprudence du Conseil d’État, l’absence de caractère probant des actes d’état civil est un motif d’ordre public qui peut justifier un refus de visa dans le cadre d’une procédure de regroupement familial (CE, no 305109, 1er juin 2007 ; CE no 297335, 10 avril 2009). Lorsque la demande de visa concerne plusieurs enfants censés appartenir à la même famille, la circonstance que la filiation de l’un d’entre eux ne se trouve pas établie avec un degré suffisant de certitude, n’habilite pas l’autorité compétente à opposer un refus de visa à ceux des demandeurs dont la filiation n’est pas sérieusement contestée (CE, no 297416, 12 octobre 2006). Il incombe à l’autorité administrative de faire état d’éléments permettant de mettre en doute l’authenticité des actes d’état civil produits à l’appui de la demande de regroupement familial (CE, no 312060, 16 mars 2009).

41.  Dans son rapport de 2010 intitulé « Visas refusés : enquête sur les pratiques des consulats de France en matière de délivrance des visas », la Cimade rappelle que la procédure de demande de visa pour les familles de réfugiés n’est fixée par aucun texte et souligne les difficultés pour les familles des réfugiés d’obtenir des visas :

« (...) Dans la pratique, les consulats ne distinguent pas les familles des réfugiés des autres catégories d’étrangers souhaitant rejoindre un membre de la famille en France. Ils exigent ainsi des familles des réfugiés des documents d’état civil qui ne peuvent pas toujours être obtenus, soit en raison des dysfonctionnements de l’état civil, soit parce qu’il reviendrait au réfugié lui-même de les demander (...) Certains attendent donc pendant deux ans, cinq ans ou jusqu’à plus de dix ans que la démarche aboutisse.

Dans de nombreux pays de provenance des réfugiés où l’état civil est inexistant ou connaît de graves carences, les documents d’état civil produits par les familles de réfugiés font systématiquement l’objet d’une enquête pour vérification. D’après la loi, ces vérifications peuvent durer huit mois, mais dans les faits, elles vont souvent au‑delà de ce délai légal. Ces enquêtes sont particulièrement pointilleuses, les consulats vérifiant souvent l’authenticité de tous les documents y compris ceux déjà contrôlés par l’OFPRA. (...) Les familles concernées sont de vraies familles qui souffrent de leur dislocation (...) et leur opposer des motifs purement formels conduit à des situations inhumaines et insupportables. D’autant que d’autres moyens de preuve sont disponibles. Tant l’article 11 de la directive européenne relative au regroupement familial que la jurisprudence du Conseil d’État disposent que la filiation peut être établie par tout moyen : envois d’argent, suivi familial, témoignages, preuves de rencontres etc... (...)

L’OFPRA qui a pour mission d’assurer, en liaison avec les autorités administratives compétentes, le respect des garanties fondamentales intéressant la protection des réfugiés sur le territoire de la République doit être l’interlocuteur des consulats. Et les documents tenant lieu d’acte d’état civil délivrés par l’OFPRA doivent être pris en compte par les consulats. (...) ».

42.  Dans sa contribution du 1er janvier 2014 aux lignes directrices de la Commission européenne concernant l’harmonisation de l’application de la directive 2003/86/CE relative au droit au regroupement familial (voir paragraphe 45 ci-dessous), France Terre d’Asile appelle la Commission à veiller à ce que la dérogation concernant la preuve des liens familiaux par les réfugiés prévue par l’article 11 de la directive soit effectivement appliquée. L’ONG dénonce aussi la complexité de la procédure de rapprochement familial et les délais importants résultant de cette complexité, en rappelant qu’« une séparation trop longue constitue une atteinte au droit de mener une vie familiale normale ».

 

III.  DROIT INTERNATIONAL ET EUROPEEN PERTINENTS

 

43.  L’article 10 de la Convention relative aux droits de l’enfant, conclue à New York le 20 novembre 1989, est ainsi libellé :

« (...) toute demande faite par un enfant ou ses parents en vue d’entrer dans un État partie ou de le quitter aux fins de réunification familiale est considérée par les États parties dans un esprit positif, avec humanité et diligence. Les États parties veillent en outre à ce que la présentation d’une telle demande n’entraîne pas de conséquences fâcheuses pour les auteurs de la demande et les membres de leur famille ».

44.  La Convention de Genève relative au statut des réfugiés de 1951 ne prévoit pas le droit au regroupement familial. Le principe du regroupement familial des réfugiés a été reconnu dans l’Acte final de la conférence qui a adopté la Convention de 1951 :

« Considérant que l’unité de la famille, cet élément naturel et fondamental de la société, est un droit essentiel du réfugié, et que cette unité est constamment menacée, et constatant avec satisfaction que, d’après le commentaire officiel du Comité spécial de l’apatridie et des problèmes connexes (E/1618, page 38) les droits de réfugié sont étendus aux membres de sa famille,

Recommande aux Gouvernements de prendre les mesures nécessaires pour la protection de la famille du réfugié et en particulier pour :

1.  Assurer le maintien de l’unité de la famille du réfugié, notamment dans le cas où le chef de la famille a réuni les conditions voulues pour son admission dans un pays;

2.  Assurer la protection des réfugiés mineurs, notamment des enfants isolés et des jeunes filles, spécialement en ce qui concerne la tutelle et l’adoption. »

Depuis lors, le Comité exécutif du HCR a adopté plusieurs déclarations en faveur du regroupement familial « compte tenu des droits humains des réfugiés et de leur famille » (conclusions nos 1, 9, 24, 84, 85 et 88).

45.  Le préambule de la directive 2003/86/CE du Conseil de l’Union européenne du 22 septembre 2003 relative au regroupement familial énonce que « La situation des réfugiés devrait demander une attention particulière, à cause des raisons qui les ont contraints à fuir leur pays et qui les empêchent d’y mener une vie en famille normale. A ce titre, il convient de prévoir des conditions plus favorables pour l’exercice de leur droit au regroupement familial ».

Les articles 4 (Chapitre II « Membres de la famille »), 5 (Chapitre III « Dépôt et examen de la demande »), 11 (Chapitre V « Regroupement familial des réfugiés ») et 13 (Chapitre VI « Entrée et séjour des membres de la famille ») de la directive prévoient ce suit :

Article 4

« Les États membres autorisent l’entrée et le séjour (...) des membres suivants :

b) les enfants mineurs du regroupant et de son conjoint (...)

Par dérogation, lorsqu’un enfant a plus de douze ans et arrive indépendamment du reste de sa famille, l’État membre peut (...) examiner s’il satisfait à un critère d’intégration prévu par sa législation (...)

Par dérogation, les États membres peuvent demander que les demandes concernant le regroupement familial d’enfants mineurs soient introduites avant que ceux-ci n’aient atteint l’âge de quinze ans (...) si elles sont introduites ultérieurement, les États membres qui décident de faire usage de la présente dérogation autorisent l’entrée et le séjour de ces enfants pour d’autres motifs que le regroupement familial ».

Article 5

« (...) 2.  La demande est accompagnée de pièces justificatives prouvant les liens familiaux et le respect des conditions prévues aux articles 4 et 6 et, le cas échéant, aux articles 7 et 8, ainsi que de copies certifiées conformes des documents de voyage des membres de la famille.

Le cas échéant, pour obtenir la preuve de l’existence de liens familiaux, les États membres peuvent procéder à des entretiens avec le regroupant et les membres de sa famille et à toute enquête jugée nécessaire. (...)

4.  Dès que possible, et en tout état de cause au plus tard neuf mois après la date du dépôt de la demande, les autorités compétentes de l’État membre notifient par écrit à la personne qui a déposé la demande la décision la concernant.

Dans des cas exceptionnels liés à la complexité de l’examen de la demande, le délai visé au premier alinéa peut être prorogé.

La décision de rejet de la demande est dûment motivée. Toute conséquence de l’absence de décision à l’expiration du délai visé au premier alinéa doit être réglée par la législation nationale de l’État membre concerné.

5.  Au cours de l’examen de la demande, les États membres veillent à prendre dûment en considération l’intérêt supérieur de l’enfant mineur. »

Article 11

« 1.  En ce qui concerne le dépôt et l’examen de la demande, l’article 5 s’applique, sous réserve du paragraphe 2 du présent article.

2.  Lorsqu’un réfugié ne peut fournir les pièces justificatives officielles attestant des liens familiaux, l’État membre tient compte d’autres preuves de l’existence de ces liens, qui doivent être appréciées conformément au droit national. Une décision de rejet de la demande ne peut pas se fonder uniquement sur l’absence de pièces justificatives. »

Article 13

« 1.  Dès que la demande de regroupement familial est acceptée, l’État membre concerné autorise l’entrée du ou des membres de la famille. À cet égard, l’État membre concerné accorde à ces personnes toute facilité pour obtenir les visas exigés. (...) ».

46.  Dans le Livre vert de la Commission européenne relatif au droit au regroupement familial des ressortissants des pays tiers résidant dans l’Union européenne (COM (2011 735), la Commission aborde les procédures de vérification des liens familiaux :

 « 5. FRAUDES, ABUS ET PROBLEME DE PROCEDURE

5.1 Entretiens et enquêtes

L’article 5, paragraphe 2, de la directive prévoit la possibilité de procéder à des entretiens et de mener d’autres enquêtes si nécessaire. Plusieurs États membres ont introduit la possibilité de procéder à des tests ADN pour prouver les liens familiaux. La directive n’aborde pas ce type de preuve. La Commission a déclaré que, pour être autorisés par la législation de l’Union européenne, ces entretiens et enquêtes doivent être proportionnés - ils ne doivent donc pas rendre inopérant le droit au regroupement familial - et respecter les droits fondamentaux, en particulier le droit à la vie privée et familiale. (...) ».

47.  La réponse du HCR au Livre vert est ainsi libellée (février 2012) :

« UNHCR stresses the important role that family plays in the specific situation of refugees. Family reunification is a fundamental aspect of bringing normality back to the lives of persons who have fled persecution or serious harm and have lost family during forced displacement and flight. (...) It is a generally agreed fact that the family is the fundamental unit of society entitled to protection by society and the State. Following separation caused by forced displacement such as from persecution and war, family reunification is often the only way to ensure respect for a refugee’s right to family unity. Separation of family members during forced displacement and flight can have devastating consequences on people’s well-being and ability to rebuild their lives (...) At the moment of the flight, persons are forced to leave often without ensuring or knowing if their families are safe. Once in safety, refuges are in many cases unaware of the whereabouts of their family. Others have to make difficult decisions about leaving their family behind to find safety in another country. (...)

Point 6 documenting family links

Rejection of family reunification based on lack of documentary evidence

UNHCR’s Executive Committee Conclusion no 24 calls for facilitated entry on the basis of liberal criteria of family members of persons recognized in need of international protection, and in particular underlines that “the absence of documentary proof of the formal validity of a marriage or of the filiation of children should not per se be considered as an impediment”. UNHCR welcomes that this recommendation is reflected in Article 11(2) of the Family Reunification Directive (...) UNHCR notes however that in a number of Member States only official documents are accepted to prove family links either in law or in practice. UNCHR is thus concerned that the requirements to prove family links are exceptionally high and that family members are required to return to situations of danger to retrieve official documents (e.g. marriage, birth certificates). Little weight is afforded to other types of evidence. As a result, DNA testing is increasingly used when there are no official documents, or when the authorities have doubts about the credibility or the family link. (...)

Length of family reunification procedures

UNHCR is concerned that on average, family reunification procedures for beneficiaries of international protection take more than six months in the majority of Member States. These long delays add to a situation of further prolonged separation, which may have started many months or years earlier. From the time of flight, after awaiting recognition of status in the asylum procedure sometimes for years, refugees can find that they are simply at the beginning of another long process. This delay can affect the benefits of family reunification as an important element in rebuilding a new life leading towards successful integration. Beneficiaries of international protection have expressed that they find it challenging to learn a new language or adapt to life in their country of asylum when they are constantly worried about the well-being and safety of their family left behind. UNHCR therefore encourages Member States to simplify family reunification for refugees and to ensure reunification within a reasonable timeframe

Visas

Similarly to the application for family reunification, the normal procedure foresees that the family member should apply for a visa for the purpose of family reunification in an embassy in his/her country of residence. As described above, refugees can face great difficulties in accessing embassies abroad. In practice the difficulty in obtaining visas is one of the main obstacles to family reunification for refugees, or at the least, this leads to significant delays in the family reunification process. UNHCR regrets that few Member States provide the possibility for the visa to be issued in the country of asylum upon presentation of a valid document, including a laissez-passer, and calls on Member States to envisage this possibility in the case of family reunification for beneficiaries of international protection ».

48.  La Recommandation du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe no R(99)23 sur le regroupement familial pour les réfugiés et les autres personnes ayant besoin de la protection internationale est ainsi libellée :

« Ayant à l’esprit que toute personne a droit au respect de sa vie familiale, que la famille est l’élément fondamental et naturel de la société et qu’elle est en droit d’être protégée par la société et l’État ;

Conscient que des personnes sont contraintes de fuir leur pays d’origine parce qu’elles craignent avec raison des persécutions ou d’autres risques pour leur vie et leur sécurité, qu’une telle fuite menace l’unité familiale et conduit souvent à la séparation des membres d’une même famille ;(...)

Conscient de la nécessité de préserver et de défendre le principe de l’unité familiale en respectant pleinement les droits fondamentaux et la dignité des réfugiés et des autres personnes ayant besoin de la protection internationale, notamment au mieux des intérêts des enfants ;

Reconnaissant que la préservation de l’intégrité des familles de réfugiés renforce la protection de leurs membres et facilite en même temps la mise en place de solutions adaptées à plus long terme.

A adopté les recommandations suivantes :

(...) 4. Les États membres devraient traiter les demandes de regroupement familial des réfugiés et autres personnes ayant besoin de la protection internationale dans un esprit positif, avec humanité et diligence. Pour vérifier l’existence des liens familiaux, les États membres devraient se fonder en premier lieu sur les documents disponibles fournis par le demandeur, par les organisations humanitaires compétentes ou de tout autre manière. L’absence de tels documents ne devrait pas être considérée en soi comme un obstacle aux demandes et les États membres peuvent inviter les requérants à apporter d’autres éléments de preuve attestant de l’existence de liens familiaux. (...) ».

49. Le Mémorandum du Commissaire aux Droits de l’Homme du Conseil de l’Europe (ci-après « le Commissaire »), faisant suite à sa visite en France du 21 au 23 mai 2008, énonce ce qui suit :

«(...) Droit au regroupement familial

114.  La délivrance des autorisations permettant aux membres de la famille d’un réfugié de rejoindre le territoire français devrait normalement se faire avec la plus grande diligence. Dans la pratique, le délai moyen d’aboutissement de cette procédure se monte pourtant à 468 jours. Ce délai excessivement long s’explique par la multiplication des acteurs intervenants dans le traitement de ces demandes. Si l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (« OFPRA ») a considérablement réduit le temps de vérification de la composition familiale, il semble que les consulats français continuent d’opposer aux familles une suspicion souvent insurmontable. La longueur de cette procédure et le danger de demeurer dans le pays en raison des risques de persécutions en cascade poussent parfois ces personnes à rejoindre le membre de famille en France par des voies clandestines.

115.  Le Commissaire invite les autorités françaises à garantir le rapprochement familial dans des délais beaucoup plus brefs afin d’éviter de faire peser sur les familles de réfugiés des dangers pour leur intégrité physique et morale ».

Dans un point de vue sur le regroupement familial des réfugiés (2008), le Commissaire a indiqué ce qui suit :

« La communauté internationale a reconnu dans un certain nombre de déclarations que la famille est l’élément fondamental de la société ; il en résulte donc un droit à l’unité familiale qui, à son tour, impose certaines obligations aux autorités nationales. Ce droit est particulièrement important pour les réfugiés qui ont très souvent été contraints de laisser derrière eux des membres de leur famille.(...)

Si les États conservent le droit qui est le leur de réglementer et de contrôler l’entrée de non ressortissants, le droit international a évolué progressivement pour reconnaître le droit au regroupement familial par-delà les frontières.

Face aux demandes de regroupement familial par-delà les frontières, les autorités ont eu une attitude extrêmement négative. Elles ont souvent réagi avec méfiance, comme si les demandeurs essayaient de les tromper et d’obtenir des faveurs qu’ils ne méritaient pas. Il est naturellement arrivé que des personnes donnent des informations erronées pour entrer dans un pays mais laisser ces exemples infléchir la politique générale est une erreur profonde.

Le traitement administratif des requêtes est loin d’être « rapide » dans un certain nombre de pays. En fait, les procédures tendent à être extrêmement lentes et inutilement bureaucratiques. Certains pays exigent que les demandes soient faites auprès des ambassades ou des consulats du pays d’origine, ce qui n’est pas toujours facile, ni même possible. Dans d’autres cas, des documents et des données avérées sont demandés, or les requérants peuvent avoir beaucoup de mal à les obtenir auprès des autorités de leur pays d’origine. L’obligation de prouver le lien aux fins du regroupement familial doit donc être réaliste.

Les témoins des souffrances endurées par les familles séparées savent que c’est une erreur de refuser le droit à l’unité de la famille, aussi bien pour les réfugiés que pour les membres restés dans le pays d’origine ou le pays hôte. Faciliter le regroupement contribue à garantir le bien-être physique, la protection, l’équilibre affectif et souvent aussi l’autosuffisance économique des communautés de réfugiés. C’est dans l’intérêt de tous. »

 

EN DROIT

 

I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

 

50.  Le requérant allègue que le refus prolongé des autorités consulaires de délivrer les visas à son épouse et à ses enfants a porté atteinte à son droit au respect de sa vie familiale tel que garanti par l’article 8 de la Convention, ainsi libellé :

« 1.  Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...).

2.  Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

 

A.  Sur la recevabilité

 

51.  Le Gouvernement demande la « radiation » de l’affaire, les requérants ne pouvant plus se prétendre « victimes » d’une violation de l’article 8 de la Convention du fait de l’obtention des visas. Il explique que les autorités françaises avaient donné leur accord de principe sur le regroupement familial (paragraphe 9 ci-dessus) et que seule la découverte des irrégularités entachant les actes d’état civil produits à l’appui des demandes de visa a retardé la délivrance de ceux-ci. Cette délivrance est intervenue dès la connaissance du jugement du 3 juin 2010 rendu par le tribunal de Yaoundé. L’examen d’une éventuelle violation de l’article 8 § 1 de la Convention s’est ainsi arrêté au stade de la preuve de l’authenticité des documents ; le contrôle de la réalité de la filiation du requérant était indispensable, habituel, conforme à la législation et ne peut être contraire aux stipulations de l’article 8.

52.  Le requérant combat la thèse du Gouvernement qui n’aurait ni reconnu ni réparé la violation alléguée de la Convention. À cet égard, il fait valoir que l’ordonnance de référé favorable du 28 octobre 2010(paragraphe 33 ci-dessus) n’a pas été prise au regard de la violation des droits fondamentaux mais au motif du défaut de communication de la motivation du refus de la Commission de recours. Le requérant estime que le Gouvernement s’est saisi du prétexte offert par la communication par le HCR/Cameroun du jugement du 3 juin 2010 pour trouver une porte de sortie du litige, au mépris de l’article 11 de la Directive européenne 2003/86/CE (paragraphe 45 ci-dessus). Il souligne que rien n’imposait une démarche administrative interminable et contre l’évidence des documents fournis par le HCR/Cameroun. Le requérant ajoute que sa fille Vanessa a été violée au Cameroun pendant ce long laps de temps ; à la suite de la grossesse non désirée, elle a accouché à quinze ans en décembre 2010, quatorze jours après son arrivée sur le territoire français. Si le statut de réfugié lui avait été reconnu c’est parce qu’elle risquait d’être violée ou assassinée et, selon lui, l’impéritie des autorités françaises a mené à ce drame.

53.  La Cour considère qu’il convient d’abord d’analyser la demande du Gouvernement comme une exception d’irrecevabilité tiré de la perte de la qualité de « victime » du requérant au sens de l’article 34 de la Convention.

54.  Selon la jurisprudence constante, par « victime », l’article 34 de la Convention désigne la personne directement concernée par l’acte ou l’omission litigieux. L’existence d’un manquement aux exigences de la Convention se conçoit même en l’absence de préjudice ; celui-ci ne joue un rôle que sur le terrain de l’article 41. Partant, une décision ou une mesure favorable à un requérant ne suffit en principe à lui retirer la qualité de « victime » que si les autorités nationales ont reconnu, explicitement ou en substance, puis réparé la violation de la Convention (Nada c. Suisse [GC], no 10593/08, § 128, CEDH 2012).

55.  En l’espèce, la Cour observe que le requérant a pu être rejoint par sa famille à la suite de la délivrance des visas. Toutefois, cette mesure a été prise en décembre 2010, soit trois ans et demi après sa demande de regroupement familial, et bien après que les juridictions nationales se furent prononcées sur la violation alléguée de la Convention par le requérant. Ni dans la procédure interne, ni devant la Cour, les autorités nationales n’ont reconnu expressément qu’il y avait eu violation des droits du requérant au titre de la Convention pendant la période susmentionnée. De plus, la décision d’octroi des visas n’a pas été suivie d’une réparation au sens de la jurisprudence précitée de la Cour. En conclusion, la Cour estime que le requérant peut toujours se prétendre « victime » au sens de l’article 34 de la Convention.

56. La Cour observe néanmoins que le Gouvernement la prie de rayer la requête du rôle. Elle doit donc rechercher si les faits nouveaux portés à sa connaissance, à savoir l’octroi des visas, peuvent l’amener à conclure que le litige est désormais résolu ou qu’il ne se justifie plus de poursuivre l’examen de la requête pour un autre motif et que, dès lors, la requête peut être rayée du rôle de la Cour en application de l’article 37 § 1 de la Convention, ainsi libellé :

« À tout moment de la procédure, la Cour peut décider de rayer une requête du rôle lorsque les circonstances permettent de conclure

a)  que le requérant n’entend plus la maintenir ; ou

b)  que le litige a été résolu ; ou

c)  que, pour tout autre motif dont la Cour constate l’existence, il ne se justifie plus de poursuivre l’examen de la requête.

Toutefois, la Cour poursuit l’examen de la requête si le respect des droits de l’homme garantis par la Convention et ses Protocoles l’exige. »

57.  Le requérant ayant clairement indiqué qu’il entendait maintenir sa requête, l’alinéa a) de cette disposition n’est pas applicable. Cela n’exclut pourtant pas de mettre en œuvre les alinéas b) ou c) sans l’accord du requérant, le consentement de celui-ci n’étant pas une condition à cet égard (Akman c. Turquie (radiation), no 37453/97, CEDH 2001‑VI). Pour conclure que le litige a été résolu au sens de l’article 37 § 1 b) et que le maintien de la requête par le requérant ne se justifie donc plus objectivement, la Cour considère qu’il est nécessaire d’examiner, d’une part, la question de savoir si les faits dont le requérant fait directement grief persistent ou non et, d’autre part, si les conséquences qui pourraient résulter d’une éventuelle violation de la Convention à raison de ces faits ont également été effacées (Pisano c. Italie (radiation) [GC], no 36732/97, § 42, 24 octobre 2002 ; Chevanova c. Lettonie (radiation) [GC], no 58822/00, § 45, 7 décembre 2007 ; Konstantin Markin c. Russie [GC], no 30078/06, § 87, CEDH 2012 (extraits)).

58.  En l’espèce, la famille du requérant a obtenu, le 8 décembre 2010, les visas nécessaires pour venir en France et leur réunification est acquise. Les faits matériels dénoncés par le requérant ont dès lors cessé d’exister. Il reste donc à examiner si la possibilité de mener une vie familiale à la suite de la délivrance des visas est suffisante pour effacer les éventuelles conséquences de la situation dont le requérant se plaint devant la Cour. À cet égard, la Cour observe que le requérant, titulaire d’une carte de résident délivrée à la suite de l’obtention du statut de réfugié, a déposé en juin 2007 une demande de regroupement familial pour les membres de sa famille restés sous la protection internationale du mandat du Haut-commissariat pour les réfugiés au Cameroun. Or, ce n’est qu’en décembre 2010, soit trois ans et demi après la demande de regroupement familial, et après plus de six années de séparation familiale, que les autorités françaises ont délivré les visas de nature à permettre la réunion de la famille. Dans ce laps de temps, le requérant a entrepris toutes les démarches légales nécessaires pour établir le lien de filiation avec les enfants Michelle et Benjamin en vue de lever les obstacles à la réunification de la famille, éprouvée elle aussi par la longue séparation depuis son départ du Cameroun(paragraphe 52 ci‑dessus).Eu égard à cette longue période d’incertitude et à la gravité des conséquences de cette dislocation pour le requérant, et pour sa famille (paragraphe 52 ci-dessus), la Cour considère que les conséquences d’une éventuelle violation de la Convention n’ont pas été suffisamment effacées pour lui permettre de conclure que le litige a été résolu au sens de l’article 37 § 1 b) de la Convention (mutatis mutandis, Polidario c. Suisse, no 33169/10, § 58, 30 juillet 2013).Elle estime à cet égard que la présente affaire se distingue de l’arrêt Chevanova précité dans lequel la requérante, sous le coup d’un arrêté d’expulsion, avait obtenu une régularisation de sa situation plusieurs années après, tout en restant sur le territoire letton, et en adoptant une « attitude manifestement frauduleuse » retardant par « ses propres agissements » l’obtention d’un permis de séjour permanent lui permettant d’entretenir des relations avec son fils majeur et d’exercer librement son droit au respect de sa vie familiale en Lettonie. En outre, en l’espèce, les enfants du requérant étaient mineurs et séparés de lui pendant plus de six ans, dans un contexte difficile après leur fuite de la République démocratique du Congo, ce qui a nécessairement entraîné de graves conséquences que leur réunion postérieure n’a pas pu suffisamment effacer.

59.  En conséquence, la Cour rejette la demande du Gouvernement tendant à la radiation de la requête en application de l’article 37 § 1 b) de la Convention.

60.  Par ailleurs, la Cour constate que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.

 

B.  Sur le fond

 

1.  Thèse des parties

61.  Le requérant dénonce un détournement de procédure, en raison de l’allégation à son encontre d’une fraude à l’ordre public, susceptible de constituer une infraction pénale, qui se termine par une reconnaissance, sans un mot d’excuse, du caractère réel des liens de filiation tels qu’ils étaient dès le départ établis par lui, avec l’aide du HCR. Il estime que le jugement du 3 juin 2010 reconstituant l’acte de naissance de sa fille Michelle ne pouvait être une révélation pour les autorités françaises, les déterminant à accorder tous les visas demandés, car les documents produits directement par le HCR à l’administration française depuis l’année 2007 confirmaient la réalité des liens de filiation. La production de ce jugement ne changeait rien car le dossier permettant de prouver les liens de filiation était assez convaincant d’une part, et parce que les décisions de refus de visas opposées à toute la famille, ne dépendaient pas de cette reconstitution d’autre part. Le requérant rappelle que le juge des référés a considéré qu’il n’y avait pas urgence parce qu’il n’avait pas conservé de relations avec ses proches et que les actes de naissance des enfants Michelle et Benjamin étaient frauduleux. Cet exemple illustre à lui seul, selon le requérant, « que nous étions loin d’un problème de reconstitution de la filiation de [l’]enfant Michelle ».

62.  Le requérant soutient que le concept d’ordre public invoqué en l’espèce est flou. Il estime que le refus litigieux n’était en tout état de cause pas nécessaire car d’autres solutions alternatives et moins radicales pouvaient être prises : supplément d’information demandé aux parties de sorte que le ministère de l’Immigration puisse être invité à interroger les autorités camerounaises - dont le tribunal de grande instance de Yaoundé - , visa de courte durée dans l’attente de productions complémentaires, test ADN.

63.  Le Gouvernement rappelle que les décisions en matière de regroupement familial sont soumises au respect de l’article 8 (CE Aykan, 10 avril 1992). Il soutient que la décision litigieuse est prévue par la loi, à savoir l’article L. 211-1 du CESEDA (paragraphe 37 ci-dessus). L’administration est fondée en outre à vérifier l’authenticité des documents d’état civil qui sont produits, en application de l’article 47 du code civil. En outre, il affirme que les autorités nationales poursuivaient un but légitime, celui de la lutte contre la fraude documentaire, attentatoire à l’ordre public. Selon le Gouvernement, la Cour a, à ce propos, reconnu que l’exercice par les États de leur droit de contrôler l’entrée et le séjour des non nationaux était une composante de l’ordre public. En l’espèce, la production d’actes frauduleux est un motif d’ordre public pouvant justifier la décision litigieuse (voir la jurisprudence du Conseil d’États, paragraphe 40 ci-dessus). Concernant l’attestation produite par le HCR/Cameroun, le Gouvernement estime qu’un tel document est sans incidence sur le contrôle des autorités consulaires. Une attestation de cette organisation ne constitue pas une preuve de filiation car il s’agit d’un document établi sur simple déclaration ou sur la présentation de documents dont il n’appartient pas au HCR de vérifier le caractère authentique ou non.

En dernier lieu, le Gouvernement considère que la mesure litigieuse était proportionnée au but recherché et ménageait un juste équilibre entre les intérêts concurrents. Il souligne la marge d’appréciation des États en matière d’immigration, l’examen à plusieurs reprises de la situation du requérant et la délivrance des visas dès l’obtention du jugement du 3 juin 2010.

2.  Appréciation de la Cour

a)  Principes applicables

64.  Dans le contexte des obligations positives comme dans celui des obligations négatives, l’État doit ménager un juste équilibre entre les intérêts concurrents de l’individu et de la communauté dans son ensemble. Il jouit à cet égard d’une certaine marge d’appréciation (Tuquabo-Tekle et autres c. Pays-Bas, no 60665/00, § 42, 1er décembre 2005 ; Osman c. Danemark, no 38058/09, § 54, 14 juin 2011).

65.  La Cour a reconnu que les États ont le droit, sans préjudice des engagements découlant pour eux de traités, de contrôler l’entrée et le séjour des étrangers sur leur sol. L’article 8 n’emporte pas une obligation générale pour un État de respecter le choix par des immigrants de leur pays de résidence et de permettre le regroupement familial sur son territoire (Abdulaziz, Cabales et Balkandali c. Royaume-Uni, 28 mai 1985, § 67, série A no 94 ; Berisha c. Suisse, no 948/12, § 49, 30 juillet 2013).

66.  Cela dit, dans une affaire qui concerne la vie familiale aussi bien que l’immigration, l’étendue des obligations pour l’État varie en fonction de la situation particulière de la personne concernée et de l’intérêt général. Les facteurs à prendre en considération dans ce contexte sont la mesure dans laquelle il y a effectivement entrave à la vie familiale, l’étendue des liens que les personnes concernées ont avec l’État contractant en cause, la question de savoir s’il existe ou non des obstacles insurmontables à ce que la famille vive dans le pays d’origine d’une ou plusieurs des personnes concernées et celle de savoir s’il existe des éléments touchant au contrôle de l’immigration ou des considérations d’ordre public pesant en faveur d’une exclusion (Rodrigues da Silva et Hoogkamer c. Pays-Bas, no 50435/99, §  39, CEDH 2006‑I ; Antwi et autres c. Norvège, no 26940/10, §§ 88-89, 14  février 2012).

67.  Lorsqu’il y a des enfants, les autorités nationales doivent, dans leur examen de la proportionnalité aux fins de la Convention, faire primer leur intérêt supérieur (Popov c. France, nos 39472/07 et 39474/07, § 139, 19 janvier 2012 ; Berisha, précité, § 51).

68.  La Cour rappelle encore, à titre de comparaison, qu’en cas d’expulsion, les étrangers bénéficient de garanties procédurales spécifiques prévues par l’article 1 du protocole no 7. Si de telles garanties ne sont pas réglementées par la Convention en ce qui concerne la vie familiale des étrangers sous l’angle de l’article 8 de la Convention, et que celui-ci ne contient pas d’exigences procédurales explicites, le processus décisionnel conduisant à des mesures d’ingérence n’en doit pas moins être équitable et respecter comme il convient les intérêts sauvegardés par l’article 8 (voir, en général, McMichael c. Royaume-Uni, 24 février 1995, § 87, série A no 307‑B et, en particulier, Cılız c. Pays-Bas, no 29192/95, § 66, CEDH 2000‑VIII ; Saleck Bardi c. Espagne, no 66167/09, § 30, 24 mai 2011). En la matière, la qualité du processus décisionnel dépend spécialement de la célérité avec laquelle l’État agit (Ciliz, précité, § 71 ; Mubilanzila Mayeka et Kaniki Mitunga c. Belgique, no 13178/03, § 82, CEDH 2006‑XI ; Saleck Bardi, précité, 65 ; Nunez c. Norvège, no 55597/09, § 84, 28 juin 2011).

69.  Enfin, la Cour estime opportun de rappeler sa jurisprudence récente selon laquelle, s’agissant du règlement de la preuve pour les demandeurs d’asile, elle a estimé que, eu égard à la situation particulière dans laquelle ils se trouvent, il convient dans de nombreux cas de leur accorder le bénéfice du doute lorsque l’on apprécie la crédibilité de leurs déclarations et des documents soumis à l’appui de celles‑ci. Toutefois, lorsque des informations sont soumises qui donnent de bonnes raisons de douter de la véracité des déclarations du demandeur d’asile, celui-ci est tenu de fournir une explication satisfaisante pour les incohérences de son récit (F.N. et autres c. Suède, no 28774/09, § 67, 18 décembre 2012). De la même manière, il incombe au requérant de fournir une explication suffisante pour écarter d’éventuelles objections pertinentes quant à l’authenticité des documents par lui produits (Mo.P. c. France (déc.), no 55787/09, 30 avril 2013).

b)  Application au cas d’espèce

70.  La Cour constate qu’il n’y a pas de controverse entre les parties sur l’applicabilité de l’article 8 de la Convention à la présente espèce. Elle relève par ailleurs que la procédure de regroupement se décompose en deux phases. Une fois l’autorisation donnée par le préfet, les membres de la famille concernés doivent obtenir un visa d’entrée en France dont la délivrance n’est pas automatiquepuisque soumise à des impératifs d’ordre public. La Cour considère donc que le refus litigieux de délivrer les visas ne constitue pas une « ingérence » dans l’exercice par le requérant du droit au respect de sa vie familiale mais que l’affaire concerne une allégation de manquement de l’État défendeur à une obligation « positive ».

71.  D’après le requérant, le processus décisionnel ayant conduit les autorités nationales à refuser initialement de délivrer des visas aux membres de sa famille ne lui a pas garanti la protection de ses intérêts. Il fait valoir en particulier l’absence de prise en compte à la fois de sa qualité de réfugié et de l’urgence qu’il y avait à examiner attentivement les demandes de visas. Le Gouvernement plaide que le refus litigieux reposait sur des considérations d’ordre public, vérifiées à plusieurs stades de la procédure, conformément à sa marge d’appréciation en la matière, avant que le requérant ne produise le jugement de reconstitution de l’acte de sa naissance de sa fille Michelle.

72.  La Cour admet que les autorités nationales se trouvent devant une tâche délicate lorsqu’elles doivent évaluer l’authenticité d’actes d’état civil, en raison des difficultés résultant parfois du dysfonctionnement des services de l’état civil de certains pays d’origine des migrants et des risques de fraude qui y sont associés. Les autorités nationales sont en principe mieux placées pour établir les faits sur la base des preuves recueillies par elle ou produites devant elles (Z.M. c. France, no 40042/11, § 60, 14 novembre 2013) et il faut donc leur réserver un certain pouvoir d’appréciation à cet égard. C’est ce qu’a jugé le Conseil constitutionnel français, pour qui le droit des étrangers - dont la résidence en France est stable et régulière - de faire venir auprès d’eux leurs enfants mineurs et leur conjoint est subordonné à une procédure de vérification des actes d’état civil, qui peut s’avérer difficile et prendre du temps (paragraphe 39 ci-dessus). Force est de constater que, en l’espèce, l’autorité consulaire a relevé que l’épouse du requérant avait présenté un acte faux, s’agissant de leur fille Michelle, même si on ne peut exclure qu’elle en ignorait le caractère frauduleux (paragraphe 34 ci-dessus), et que les juridictions nationales ont décidé que cette circonstance suffisait à justifier le refus de délivrer l’ensemble des visas demandés.

73.  Toutefois, la Cour estime que, compte tenu de la décision intervenue quelques mois plus tôt d’accorder le statut de réfugié au requérant et après la reconnaissance de principe du regroupement familial qui lui avait été accordée, il était capital que les demandes de visas soient examinées rapidement, attentivement et avec une diligence particulière. La Cour n’a pas pour tâche de se substituer aux autorités compétentes dans l’examen de la question de savoir si les actes d’état civil présentés au soutien de la demande de regroupement familial étaient frauduleux ou pas au sens de l’article 47 du code civil. En revanche, elle est compétente pour rechercher si les autorités nationales, dans l’application et l’interprétation de cette disposition, ont respecté les garanties de l’article 8 de la Convention, en tenant compte du statut de réfugié accordé au requérant, et de la protection de ses intérêts protégés par cette disposition. À ce titre, elle estime que, dans les circonstances de l’espèce, pesait sur l’État défendeur l’obligation de mettre en œuvre, pour répondre à la demande du requérant, une procédure prenant en compte les évènements ayant perturbé et désorganisé sa vie familiale et conduit à lui reconnaître le statut de réfugié. La Cour entend donc faire porter son examen sur la qualité de cette procédure et se placer sur le terrain des « exigences procédurales » de l’article 8 de la Convention (paragraphe 68 ci-dessus).

74.  À cet égard, la Cour observe que la vie familiale du requérant n’a été interrompue qu’en raison de sa fuite, par crainte sérieuse de persécution au sens de la Convention de Genève de 1951 (Mayeka et Kaniki Mitunga, précité, § 75 et Tuquabo‑Tekle et autres, précité, § 47). Ainsi, et contrairement à ce qu’a indiqué de manière constante le ministère compétent, au cours de la procédure en référé et au fond (paragraphes 21 et 22 ci-dessus), jusqu’à la communication de la requête au gouvernement défendeur, la séparation du requérant d’avec sa famille ne lui était pas imputable. La venue de son épouse et de ses enfants âgés de trois, six et treize ans à l’époque de la demande de regroupement, eux-mêmes réfugiés dans un pays tiers, constituait donc le seul moyen pour reprendre la vie familiale.

75.  La Cour rappelle que l’unité de la famille est un droit essentiel du réfugié et que le regroupement familial est un élément fondamental pour permettre à des personnes qui ont fui des persécutions de reprendre une vie normale (voir le mandat du HCR, paragraphes 44 et 47 ci-dessus). Elle rappelle également qu’elle a aussi reconnu que l’obtention d’une telle protection internationale constitue une preuve de la vulnérabilité des personnes concernées (Hirsi Jamaa et autres c. Italie [GC], no 27765/09, § 155, CEDH 2012). Elle note à cet égard que la nécessité pour les réfugiés de bénéficier d’une procédure de regroupement familial plus favorable que celle réservée aux autres étrangers fait l’objet d’un consensus à l’échelle internationale et européenne comme cela ressort du mandat et des activités du HCR ainsi que des normes figurant dans la directive 2003/86 CE de l’Union européenne (paragraphes 45 et 47 ci-dessus). Dans ce contexte, la Cour considère qu’il était essentiel que les autorités nationales tiennent compte de la vulnérabilité et du parcours personnel particulièrement difficile du requérant, qu’elles prêtent une grande attention à ses arguments pertinents pour l’issue du litige, qu’elles lui fassent connaître les raisons qui s’opposaient à la mise en œuvre du regroupement familial, et enfin qu’elles statuent à bref délai sur les demandes de visa.

76.  De ce point de vue, la Cour juge utile de tenir compte des standards qui émanent des instruments internationaux en la matière et d’avoir à l’esprit les recommandations des organisations non gouvernementales (ONG) spécialisées en droit des étrangers. Ainsi et avant tout, elle observe que la Convention internationale sur les droits de l’enfant préconise que les demandes de regroupement familial soient examinées avec souplesse et humanité. Elle attache de l’importance au fait que le Comité des ministres et le Commissaire du Conseil de l’Europe ont soutenu et précisé cet objectif (paragraphes 43, 48 et 49 ci-dessus). S’agissant des moyens de preuve, elle relève dans la directive 2003/86/CE de l’Union européenne (paragraphe 45 ci-dessus) et dans divers textes émanant de sources internationales et d’ONG que les autorités nationales sont incitées à prendre en considération « d’autres preuves » de l’existence des liens familiaux si le réfugié n’est pas en mesure de fournir des pièces justificatives officielles. Le HCR, le Conseil de l’Europe et les ONG indiquent de manière concordante l’importance d’élargir ces moyens de preuve (paragraphes 41, 42, 47 et 48 ci-dessus), et la Cimade a souhaité que les autorités françaises compétentes prennent en considération les documents tenant lieu d’actes d’état civil délivrés par l’OFPRA, et ceux déjà contrôlés par cet Office (paragraphe 41 ci-dessus). Enfin, il importe de noter que plusieurs rapports dénoncent des pratiques qui font obstacle au regroupement familial, en raison de la longueur excessive et de la complexité de la procédure de délivrance des visas ; ils insistent sur la nécessité d’écourter les délais de la procédure en montrant plus de souplesse dans l’exigence des preuves attestant des liens familiaux (paragraphes 41, 42, 47 et 49 ci-dessus).

77.  En l’espèce, le déroulement de la procédure litigieuse retracé plus haut peut se résumer ainsi :

a)  Le requérant formula sa première demande de regroupement familial en juin 2007 et l’accord de principe fut donné le 13 février 2008, soit huit mois plus tard. Sa famille fut alors convoquée au consulat de France à Yaoundé qui entreprit une procédure de vérification dont il n’informa pas le requérant. Ne disposant pas d’indication sur le sort réservé à sa demande et ne connaissant pas les obstacles qui s’opposaient à la délivrance des visas, celui-ci forma, contre la décision implicite de rejet, un recours auquel la Commission de recours ne répondit pas. Ce n’est qu’au cours de l’audience de référé-suspension, en septembre 2008, que le requérant prit connaissance du mémoire du ministre de l’Immigration mettant en cause les actes de naissance de ses enfants Michelle et Benjamin.

b)  Suivant une suggestion qu’aurait faite le rapporteur public à l’audience tenue le 20 mai 2009 par le Conseil d’État sur le recours en excès de pouvoir formé par le requérant, la femme de ce dernier saisit le tribunal de grande instance de Yaoundé pour obtenir une rectification judiciaire de l’acte de naissance de leur fille Michelle.

c)  Confronté au rejet de son recours par le Conseil d’État en juillet 2009, le requérant présenta une seconde demande de regroupement familial. Celle‑ci fut également rejetée sans motivation en avril 2010 et la Commission de recours ne répondit pas au recours dont il la saisit.

d)  Après de nouvelles vérifications effectuées en 2010, soit plus de deux ans après la demande de regroupement familial, l’acte de naissance de Benjamin put être authentifié, ce que le Gouvernement admet (paragraphe 31 ci-dessus).

e)  Postérieurement à la communication de la requête au Gouvernement par la Cour, le 21 septembre 2010, le requérant obtint du juge des référés une ordonnance par laquelle celui-ci décida « qu’eu égard à la durée de la séparation entre le requérant et sa famille, la condition d’urgence est satisfaite » et enjoignit au ministre un nouvel examen de la demande de visa.

f)  Le 19 novembre 2010, l’avocat du HCR/Cameroun fit parvenir le jugement reconstituant l’acte de naissance de la fille du requérant et les autorités consulaires délivrèrent les visas un mois plus tard.

78.  Au vu de ce rappel, la Cour constate que faute d’explications et de motivations pourtant requises par la loi (paragraphe 37 ci-dessus), jusqu’en septembre 2008, soit quinze mois après sa première demande de regroupement familial, le requérant était incapable de comprendre précisément ce qui s’opposait à ce projet. Elle relève également que les autorités compétentes, au courant de la demande de reconstitution de l’acte de naissance de l’enfant Michelle devant la juridiction camerounaise (paragraphe 24 ci-dessus), n’ont pas jugé utile de s’enquérir du développement de cette démarche, lorsqu’elles ont refusé la seconde fois de délivrer les visas (paragraphe 32 ci-dessus). Enfin, à la suite d’une nouvelle vérification en 2010, elles ont finalement estimé que le lien de filiation de son fils Benjamin était établi, alors que celui-ci était contesté de la même manière que celui de sa fille Michelle (paragraphes 21, 24 et 31 ci-dessus).

79.  La Cour observe encore les difficultés rencontrées par le requérant pour participer utilement à la procédure et faire valoir les « autres éléments » de preuve des liens de filiation. Pourtant, le requérant avait déclaré ses liens familiaux dès les toutes premières démarches de sa demande d’asile et l’OFPRA, immédiatement à la suite de sa demande de regroupement, avait certifié la composition familiale dans des actes réputés authentiques (paragraphes 8, 12, 28 et 38 ci-dessus). En outre, la Cour attache de l’importante au fait que le HCR, convaincu de l’authenticité de leurs démarches, avait pris en charge le requérant puis sa famille depuis leur fuite de la République démocratique du Congo et jusqu’au dénouement de la procédure (voir les nombreuses attestations aux paragraphes 22 et 23 et paragraphe 28 ci-dessus ; voir, également, mutatis mutandis, Mayeka et Kaniki Mitunga, précité, § 82). Le ministère des Affaires étrangères du Cameroun avait aussi donné son accord pour le document de voyage de son épouse, dans lequel il était précisé qu’elle était accompagnée de ses trois enfants (paragraphe 10 ci-dessus) puis, par la suite, pour celui de l’enfant Michelle (paragraphe 22 ci-dessus). Le requérant avait enfin apporté d’autres éléments qui prouvaient le maintien des contacts avec sa famille (paragraphe 22 ci-dessus). La Cour estime que ces éléments n’étaient pas dénués de pertinence ; le requérant pouvait raisonnablement s’attendre à ce qu’ils attestent de sa vie familiale passée et à ce que les autorités nationales leur portent une attention suffisante.

80.  Enfin, la Cour constate qu’il aura fallu presque trois ans et demi pour que les autorités nationales ne remettent plus en cause le lien de filiation entre le requérant et ses enfants. Ce délai est excessif, eu égard à la situation particulière du requérant et à l’enjeu de la procédure de vérification pour lui.

81.  L’ensemble des éléments exposés ci-dessus fait apparaître la situation angoissante et apparemment sans issue dans laquelle le requérant se trouvait. La Cour constate que l’accumulation et la prolongation des multiples difficultés dans lesquelles il s’est trouvé au cours de la procédure ont suscité chez lui, déjà soumis à des expériences traumatiques justifiant son statut de réfugié, un état dépressif sérieux (paragraphe 26 ci-dessus).

82.  Compte tenu de tout ce qui précède, et malgré la marge d’appréciation de l’État en la matière, la Cour estime que les autorités nationales n’ont pas dûment tenu compte de la situation spécifique du requérant, et conclut que le processus décisionnel n’a pas présenté les garanties de souplesse, de célérité et d’effectivité requises pour faire respecter son droit au respect de sa vie familiale garanti par l’article 8 de la Convention. Pour cette raison, l’État a omis de ménager un juste équilibre entre l’intérêt du requérant d’une part, et son intérêt à contrôler l’immigration d’autre part.

Partant, il y a eu violation de l’article 8 de la Convention.

 

II.  SUR LES AUTRES VIOLATION ALLÉGUÉES DE LA CONVENTION

 

83.  Sous l’angle de l’article 6 § 2 de la Convention, le requérant allègue que l’État l’accuse de la production d’actes frauduleux, ce qui constitue une infraction pénale, alors que les garanties de la procédure pénale lui ont été refusées. Il évoque un détournement de procédure grossier et manifeste. Invoquant les articles 6 § 1 et 14 de la Convention, le requérant se plaint de n’avoir pas eu un procès équitable et dénonce une politique empêchant le regroupement familial par des moyens qui pénalisent les enfants et ne tiennent pas compte des usages administratifs des pays de provenance des réfugiés.

84.  Compte tenu de l’ensemble des éléments en sa possession, et dans la mesure où elle était compétente pour connaître des allégations formulées, la Cour n’a relevé aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par la Convention ou ses Protocoles.

85.  Il s’ensuit que ces griefs sont manifestement mal fondés et doivent être rejetés en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

 

III.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

 

86.  Aux termes de larticle 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A.  Dommage

87.  Le requérant sollicite une somme de 15 000 euros (EUR) pour le préjudice moral qu’il a subi dû à la séparation de sa famille.

88.  Le Gouvernement estime que la longue période nécessaire à la délivrance des visas est imputable au requérant « dans l’incapacité de fournir à l’administration les éléments de preuves incontestables de la filiation de certains de ses enfants ». Il estime en tout état de cause que le montant demandé est excessif et indique que le seul constat de violation constituerait une réparation adéquate du préjudice moral éventuellement subi.

89.  La Cour estime que le requérant a dû éprouver une angoisse certaine (paragraphes 26 et 50 ci-dessus) qui ne saurait être réparée par le seul constat de violation établi par elle. Eu égard à la nature de la violation constatée en l’espèce, la Cour juge équitable d’octroyer au requérant 5 000 EUR au titre du préjudice moral.

B.  Frais et dépens

90.  Le requérant demande 3 000 EUR pour les frais engagés devant la Cour. Il produit la convention d’honoraires conclue avec son avocat et l’appel de provision adressé par celui-ci.

91.  En l’absence de justificatif des frais engagés, le Gouvernement estime qu’une somme de 1 500 EUR suffirait à couvrir ces frais, dans la mesure où la Cour déciderait, à titre exceptionnel, de statuer en équité.

92.  Au vu des documents produits, la Cour alloue la somme de 3 000 EUR au requérant.

C.  Intérêts moratoires

93.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

 

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

 

1.  Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l’article 8 de la Convention et irrecevable pour le surplus ;

 

2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention ;

 

3.  Dit,

a)  que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention

i)  5 000 EUR (cinq mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

ii)  3 000 EUR (trois mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par le requérant, pour frais et dépens ;

b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

 

4.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

 

Fait en français, puis communiqué par écrit le 10 juillet 2014, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

 

Claudia Westerdiek                                                   Mark Villiger
Greffière                                                                   Président