Liberté de religion et protection des données : l'arrêt de la CEDH Témoins de Jehovah c. Finlande

La liberté de religion est l'un des droits fondamentaux protégés par la Convention européenne des droits de l'homme. L'article 9 de la Convention garantit le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion, y compris la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des rites.

 

Cependant, cet exercice de la liberté de religion peut parfois entrer en conflit avec d'autres droits et intérêts, tels que le droit à la vie privée ou à la protection des données personnelles. C'est dans ce contexte que la Cour européenne des droits de l'homme a examiné l'affaire "Témoins de Jéhovah c. Finlande" du 09 avril 2023.

 

Cette affaire concerne l'obligation pour les membres des Témoins de Jéhovah de recueillir le consentement des individus lors de leur prédication porte-à-porte pour collecter leurs données personnelles. En 2000, le médiateur finlandais pour la protection des données a émis un avis selon lequel les données personnelles ne pouvaient être collectées lors des visites à domicile des Témoins de Jéhovah qu'avec le consentement des personnes concernées. En 2011, une plainte a été déposée auprès du médiateur pour la protection des données, alléguant que les notes prises par les Témoins de Jéhovah constituaient un "fichier de données personnelles". Le médiateur a décidé que les Témoins de Jéhovah étaient interdits de collecter des données sans le consentement univoque de la personne concernée.

 

La communauté des Témoins de Jéhovah et deux de ses membres ont porté l'affaire devant les tribunaux finlandais, cherchant à faire annuler la décision du médiateur. Le tribunal administratif d'Helsinki a partiellement accepté l'appel de la communauté des requérants, annulant la décision. Il a considéré, entre autres, que la communauté des requérants n'était pas le "responsable" des données en question, mais que le consentement explicite de la personne concernée était néanmoins requis pour la collecte et le traitement de ces données.

 

En 2018, la Cour suprême administrative de Finlande a annulé l'annulation du tribunal administratif d'Helsinki. Elle a décidé que la collecte de données par les Témoins de Jéhovah ne pouvait pas être considérée comme des données personnelles privées à des fins personnelles. Bien que la prédication porte-à-porte fasse également partie de l'activité religieuse personnelle des Témoins de Jéhovah, elle était organisée, coordonnée et encouragée par la communauté des requérants. Par conséquent, la communauté des Témoins de Jéhovah était le "responsable" des données, et donc responsable.

 

Ainsi, dans l’affaire Kokkinakis c. Grèce, la Cour avait jugé que la liberté de religion protège le droit d'exprimer sa religion ou sa conviction individuelle, y compris par la pratique collective. La Cour avait également énoncé que la liberté de religion inclut le droit de changer de religion ou de conviction.

 

De même, dans l’affaire Hasan et Eylem Zengin c. Turquie, la Cour avait jugé que la liberté de religion doit être interprétée de manière large, car elle concerne des questions qui touchent à la conscience individuelle et qui reflètent la manière dont une personne se perçoit et se définit.

 

En l’espèce, la Cour a jugé que les exigences en matière de protection des données personnelles imposées aux Témoins de Jéhovah ne portaient pas atteinte à leur liberté de religion. Les autorités nationales ont correctement équilibré les intérêts de la communauté des Témoins de Jéhovah avec les droits individuels en matière de données personnelles, en considérant que l'obtention du consentement était nécessaire.

 

En conclusion, l’arrêt Témoins de Jéhovah c. Finlande de la Cour européenne des droits de l’homme est un rappel important de la protection de la liberté de religion dans l’Union européenne. La Cour a confirmé que la liberté de religion doit être interprétée de manière large, mais que cela ne signifie pas que les pratiques religieuses sont exemptes de réglementation et de protection des droits individuels. Les autorités nationales ont la responsabilité de veiller à ce que les pratiques religieuses soient compatibles avec les normes légales et les droits de l'homme.