Les communiqués de presse de la CEDH

 

La CEDH publie régulièrement des communiqués de presse qui comportent des résumés des arrêts ou des décisions rendus ou des informations sur les affaires pendantes et les activités de la Cour en général.

 

Ils sont en format PDF, disponibles en anglais et en français.

 

Vous pouvez en retrouver une sélection des plus récents ci-dessous.

 

L'intégralité des communiqués les plus récents est disponible sur le site de la CEDH : http://www.echr.coe.int/Pages/home.aspx?p=press&c=fre#n1347882722901_pointer

 

 

La sanction infligée à la requérante pour mendicité sur la voie publique viole la Convention

Plainte à la CEDH sur le fondement des articles 8, 10 et 8 combiné à 14

Affaire Lacatus c. Suisse, 19 janvier 2021, requête no 14065/15

19.01.21

Communiqué de presse du Greffier de la Cour no CEDH 21 (2021) 

 

Dans son arrêt de chambre, rendu ce jour dans l’affaire Lacatus c. Suisse (requête no 14065/15), la Cour européenne des droits de l’homme dit, à l’unanimité, qu’il y a eu : Violation de l’article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) de la Convention européenne des droits de l’homme.

 

L’affaire concerne la condamnation de la requérante à une peine d’amende de 500 francs suisses (CHF), environ 464 euros (EUR), pour avoir mendié sur la voie publique à Genève et sa détention provisoire de cinq jours pour défaut de paiement de l’amende.

 

La Cour observe que la requérante, analphabète et issue d’une famille extrêmement pauvre, n’avait pas de travail et ne touchait pas d’aide sociale. La mendicité constituait pour elle un moyen de survivre. Placée dans une situation de vulnérabilité manifeste, la requérante avait le droit, inhérent à la dignité humaine, de pouvoir exprimer sa détresse et essayer de remédier à ses besoins par la mendicité.

 

La Cour estime que la sanction infligée à la requérante ne constituait une mesure proportionnée ni au but de la lutte contre la criminalité organisée, ni à celui visant la protection des droits des passants, résidents et propriétaires des commerces. La Cour ne souscrit pas à l’argument du Tribunal fédéral selon lequel des mesures moins restrictives n’auraient pas permis d’atteindre le même résultat ou un résultat comparable.

 

La sanction infligée à la requérante a atteint sa dignité humaine et l’essence même des droits protégés par l’article 8 de la Convention et que l’État a outrepassé la marge d’appréciation dont il jouissait en l’espèce.

 

Principaux faits

 

La requérante est une ressortissante roumaine, née en 1992 et résidant à Bistrita-Nassaud (Roumanie). La requérante, Madame Violeta-Sibianca Lăcătuş, ressortissante roumaine appartenant à la communauté rom, est née en 1992.

 

A partir de 2011, Mme Lacatus, ne trouvant pas d’emploi, commença à demander l’aumône à Genève.

 

Une première amende de 100 CHF (environ 93 EUR) lui fut infligée le 22 juillet 2011 en application de l’article 11A de la loi pénale genevoise, qui interdit de mendier sur la voie publique.

 

A cette occasion, elle se fit saisir la somme de 16,75 CHF (environ 15,50 EUR), trouvée sur elle à la suite d’une fouille effectuée par la police. Dans les deux ans qui suivirent, Mme Lacatus se vit infliger huit autres amendes du même montant par ordonnances pénales et fut également placée deux fois, pour une durée de

trois heures, en garde à vue.

 

Chaque amende fut assortie d’une peine privative de liberté de substitution d’un jour en cas de non-paiement. Mme Lăcătuş forma opposition aux ordonnances pénales. Par jugement du 14 janvier 2014, le tribunal de police du canton de Genève la déclara coupable de mendicité et la condamna au paiement d’une amende de 500 CHF, assortie d’une peine privative de liberté de cinq jours en cas de non-paiement, et confirma la confiscation des 16,75 CHF. Son appel auprès de la chambre pénale d’appel et de révision de la Cour de justice du canton de Genève fut débouté le 4 avril 2014. Mme Lăcătuş saisit le Tribunal fédéral d’un recours contre la décision de la chambre pénale d’appel, qui fut rejeté le 10 septembre 2014.

 

Entre le 24 et le 28 mars 2015, Mme Lăcătuş fut placée en détention à la prison provisoire de Champ-Dollon pour non-paiement de l’amende.

 

Griefs, procédure et composition de la Cour

 

Invoquant l’article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale, du domicile et de la correspondance), la requérante soutient que l’interdiction de mendier sur la voie publique a porté une atteinte inadmissible à sa vie privée en ce qu’elle l’a privée de la source de revenu qui lui permettait de subvenir à ses besoins vitaux.

 

Invoquant l’article 10 (liberté d’expression), elle allègue que l’interdiction de mendier l’a empêchée de faire part de sa détresse en demandant l’aumône.

 

Invoquant l’article 14 (interdiction de la discrimination) combiné avec l’article 8, la requérante se plaint d’avoir été victime d’une discrimination en raison de sa situation sociale et de sa fortune ainsi qu’en raison de ses origines.

 

La requête a été introduite devant la Cour européenne des droits de l’homme le 17 mars 2015. L’arrêt a été rendu par une chambre de sept juges composée de :

Paul Lemmens (Belgique), président,

Georgios A. Serghides (Chypre),

Helen Keller (),

Dmitry Dedov (Russie),

Georges Ravarani (Luxembourg),

María Elósegui (Espagne),

Peeter Roosma (Estonie),

ainsi que de Milan Blaško, greffier de section.

 

Décision de la Cour

 

Article 8

 

La Cour estime qu’il y a eu ingérence dans l’exercice par la requérante de ses droits protégés par l’article 8 de la Convention. Cette ingérence reposait sur une base légale, l’article 11A de la Loi pénale genevoise (LPG).

 

La Cour rappelle qu’en vertu de l’article 11A § 1 de la LPG, « [c]elui qui aura mendié sera puni de l’amende ». Cette disposition sanctionne donc de manière générale les personnes qui se livrent à la mendicité. La Cour estime qu’une interdiction générale d’un certain comportement est une mesure radicale qui exige une justification solide et un contrôle particulièrement sérieux par les tribunaux autorisés à opérer la pesée des intérêts en jeu.

 

Dans le cas d’espèce, la loi applicable ne permet pas une véritable mise en balance des intérêts en jeu et sanctionne la mendicité de manière générale.

 

La Cour observe que la requérante est issue d’une famille extrêmement pauvre, elle est analphabète, elle n’avait pas de travail et ne touchait pas d’aide sociale. La mendicité constituait pour elle un moyen de survivre. La Cour estime que, se trouvant dans une situation de vulnérabilité manifeste, la requérante avait le droit, inhérent à la dignité humaine, de pouvoir exprimer sa détresse et essayer de remédier à ses besoins par la mendicité.

 

En ce qui concerne la nature et la sévérité de la sanction infligée, la Cour rappelle que la requérante a été condamnée à une amende de 500 CHF, assortie d’une peine privative de liberté de cinq jours en cas de non-paiement. Incapable de payer cette somme, l’intéressée a effectivement purgé une peine privative de liberté en prison. La Cour estime qu’il s’agit d’une sanction grave. Une telle mesure doit être justifiée par de solides motifs d’intérêt public qui, en l’espèce, n’étaient pas réunis.

 

En ce qui concerne la question de savoir si des mesures moins sévères auraient pu aboutir au même résultat ou à un résultat comparable, la Cour relève que, dans son arrêt du 9 mai 2008, le Tribunal fédéral a constaté l’inutilité d’une législation moins restrictive en renvoyant aux considérations en droit de ses arrêts antérieurs.

L’analyse de droit comparé des législations en matière de mendicité révèle que la majorité des États membres du Conseil de l’Europe prévoit des restrictions plus nuancées que l’interdiction générale découlant de l’article 11A de la LPG. Même si l’État dispose d’une certaine marge d’appréciation en la matière, le respect de l’article 8 exige que les tribunaux internes se livrent à un examen approfondi de la situation concrète de l’espèce. Dès lors, la Cour n’est pas en mesure de souscrire à l’argument du Tribunal fédéral selon lequel des mesures moins restrictives n’auraient pas permis d’atteindre le même résultat ou un résultat comparable.

 

La Cour estime que la sanction infligée à la requérante ne constituait une mesure proportionnée ni au but de la lutte contre la criminalité organisée, ni à celui visant la protection des droits des passants, résidents et propriétaires des commerces. La requérante est une personne extrêmement vulnérable qui a été punie pour des actes dans une situation où elle n’avait très vraisemblablement pas d’autres choix que la mendicité pour survivre. La Cour considère que la sanction infligée à la requérante a atteint sa dignité humaine et l’essence même des droits protégés par l’article 8 et que l’État a outrepassé la marge d’appréciation dont il jouissait en l’espèce.

 

La Cour conclut que l’ingérence dans l’exercice par la requérante de ses droits protégés par l’article 8 n’était pas « nécessaire dans une société démocratique » au sens de l’article 8 § 2 et qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention.

 

Article 10

 

Ayant conclu à une violation de l’article 8, la Cour estime que le grief fondé sur l’article 10 ne soulève aucune question distincte essentielle et qu’il n’y a dès lors pas lieu de statuer séparément sur ce grief.

 

Article 14 combiné avec 8

 

Ayant conclu à une violation de l’article 8, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu de statuer séparément sur le grief fondé sur l’article 14 combiné avec l’article 8 de la Convention.

 

Satisfaction équitable (Article 41)

 

La Cour dit que la Suisse doit verser à la requérante 922 euros (EUR) pour dommage moral.

 

 

 

L’injonction faite à Mediapart de retirer de son site des extraits d’enregistrements illicites réalisés au domicile de Mme Bettencourt n’a pas violé la Convention

Plainte à la CEDH sur le fondement de l'article 10 de la Convention

14.01.2021

Communiqué de presse du Greffier de la Cour no CEDH 013 (2021) 

 

 

"Dans son arrêt de chambre, rendu ce jour dans l’affaire Société Editrice de Mediapart et autres c. France (requêtes no 281/15 et n° 34445/15), la Cour européenne des droits de l’homme dit, à l’unanimité, qu’il y a eu : Non-violation de l’article 10 (liberté d’expression) de la Convention européenne des droits de l’homme.

 

Les deux affaires concernent l’injonction faite à Mediapart, site d’information d’actualités en ligne, son directeur et un journaliste, de retirer du site du journal la publication d’extraits d’enregistrements illicites réalisés au domicile de Mme Bettencourt, principale actionnaire du groupe l’Oréal.

 

La Cour rappelle que l’article 10 de la Convention ne garantit pas une liberté d’expression sans aucune restriction même quand il s’agit de rendre compte dans la presse de questions sérieuses d’intérêt général. L’exercice de cette liberté comporte des « devoirs et responsabilités » qui valent aussi pour la presse.

 

Les requérants n’ignoraient pas que la divulgation des enregistrements réalisés à l’insu de Mme Bettencourt constituait un délit, ce qui devait les conduire à faire preuve de prudence et de précaution.

 

La Cour réitère le principe selon lequel les journalistes auteurs d’une infraction ne peuvent se prévaloir d’une immunité pénale exclusive – dont ne bénéficient pas les autres personnes qui exercent leur droit à la liberté d’expression – du seul fait que l’infraction a été commise dans l’exercice de leur fonction journalistique.

 

Dans certaines circonstances, une personne, même connue du public, peut se prévaloir d’une « espérance légitime » de protection et de respect de sa vie privée. L’appartenance d’un individu à la catégorie des personnalités publiques ne saurait, a fortiori lorsqu’elles n’exercent pas de fonctions officielles, comme c’était le cas de Mme Bettencourt, autoriser les médias à transgresser les principes déontologiques et éthiques qui devraient s’imposer à eux ni légitimer des intrusions dans la vie privée.

 

Les juridictions nationales ont sanctionné les requérants pour faire cesser le trouble causé à une femme qui, bien qu’étant un personnage public, n’avait jamais consenti à la divulgation des propos publiés, était vulnérable et avait une espérance légitime de voir disparaître du site du journal les publications illicites dont elle n’avait jamais pu débattre, contrairement à ce qu’elle a pu faire lors du

procès pénal.

 

La Cour ne voit aucune raison sérieuse de substituer son avis à celui des juridictions internes et d’écarter le résultat de la mise en balance effectuée par celles-ci. Elle estime que les motifs invoqués étaient pertinents et suffisants pour démontrer que l’ingérence litigieuse était « nécessaire dans une  société démocratique », et que l’injonction prononcée n’allait pas au-delà de ce qui était nécessaire pour protéger Mme Bettencourt et P.D.M. de l’atteinte à leur droit au respect de leur vie privée"