Les communiqués de presse de la CEDH
La CEDH publie régulièrement des communiqués de presse qui comportent des résumés des arrêts ou des décisions rendus ou des informations sur les affaires pendantes et les activités de la Cour en général.
Ils sont en format PDF, disponibles en anglais et en français.
Vous pouvez en retrouver une sélection des plus récents ci-dessous.
L'intégralité des communiqués les plus récents est disponible sur le site de la CEDH : http://www.echr.coe.int/Pages/home.aspx?p=press&c=fre#n1347882722901_pointer

14.02.2023
Communiqué de presse du Greffe de la Cour : CEDH 049 (2023)
Violation de la liberté d’expression d’un lanceur d’alerte en raison de sa
condamnation pénale.
Dans son arrêt de Grande Chambre, rendu ce jour dans l’affaire Halet c. Luxembourg (requête no 21884/18), la Cour européenne des droits de l’homme dit, à la majorité (douze voix contre cinq),
qu’il y a eu :
Violation de l’article 10 (liberté d’expression) de la Convention européenne des droits de l’homme.
L’affaire porte sur la divulgation par M. Halet, alors qu’il était employé par une société privée, de documents confidentiels protégés par le secret professionnel consistant en 14 déclarations fiscales de sociétés multinationales et deux courriers d’accompagnement, obtenus sur son lieu de travail. À la suite d’une plainte déposée par son employeur et à l’issue de la procédure pénale engagée à son encontre, M. Halet fut condamné par la Cour d’appel au paiement d’une amende pénale de 1 000 euros ainsi qu’au paiement d’un euro symbolique en réparation du préjudice moral subi par l’employeur.
Au vu des constats qu’elle a opérés quant à l’importance, à l’échelle tant nationale qu’européenne, du débat public sur les pratiques fiscales des multinationales auquel les informations divulguées par le requérant ont apporté une contribution essentielle, la Cour estime que l’intérêt public attaché à la divulgation de ces informations l’emporte sur l’ensemble des effets dommageables résultant de celle-ci. Ainsi, après avoir pesé les différents intérêts en jeu (l’intérêt public que présente l’information divulguée et les effets dommageables de la divulgation) et pris en compte la nature, la gravité et l’effet dissuasif de la condamnation pénale infligée au requérant, la Cour conclut que l’ingérence dans le droit à la liberté d’expression de ce dernier, en particulier de son droit de communiquer des informations, n’était pas « nécessaire dans une société démocratique ».
Un résumé juridique de cette affaire sera disponible dans la base de données HUDOC de la Cour.
Principaux faits
Le requérant, Raphaël Halet, est un ressortissant français né en 1976 et résidant à Viviers (France).
À l’époque des faits, M. Halet travaillait pour la société PricewaterhouseCoopers (PwC) qui propose des services d’audit, de conseil fiscal et de conseil en gestion d’entreprise, et dont l’activité consiste notamment à établir des déclarations fiscales au nom et pour le compte de ses clients et à demander auprès des administrations fiscales des décisions fiscales anticipées. Ces décisions qui concernent l’application de la loi fiscale à des opérations futures sont appelées « Advance Tax Agreements » (ATAs) ou « rulings fiscaux » ou encore « rescrits fiscaux ».
Entre 2012 et 2014, plusieurs centaines de rescrits fiscaux et de déclarations fiscales établis par PwC furent publiés dans différents médias. Ces publications mettaient en lumière une pratique, sur une période s’étendant de 2002 à 2012, d’accords fiscaux très avantageux passés entre PwC pour le compte de sociétés multinationales et l’administration fiscale luxembourgeoise.
Une enquête interne menée par PwC permit d’établir qu’un auditeur, A.D., avait copié, en 2010, la veille de son départ de PwC consécutif à sa démission, 45 000 pages de documents confidentiels, dont 20 000 pages de documents fiscaux correspondant notamment à 538 dossiers de rescrits fiscaux, qu’il avait remis, en été 2011, à un journaliste (E.P.) à la demande de celui-ci.
Une deuxième enquête interne menée par PwC permit d’identifier que M. Halet avait, à la suite de la révélation par les médias de certains des rescrits fiscaux copiés par A.D., contacté le journaliste E.P. en mai 2012 en vue de lui proposer la remise d’autres documents. Cette remise eut lieu entre octobre et décembre 2012 et porta sur 16 documents, comprenant 14 déclarations fiscales et deux courriers d’accompagnement. Quelques-uns des documents furent utilisés par le journaliste E.P. dans le cadre de l’émission télévisée « Cash Investigation » diffusée en juin 2013. En novembre 2014, les 16 documents furent par ailleurs mis en ligne par une association regroupant des journalistes dénommée « International Consortium of Investigative Journalists ».
À la suite d’une plainte déposée par PwC, une procédure pénale fut engagée, à l’issue de laquelle M. Halet fut condamné, en appel, au paiement d’une amende pénale de 1 000 euros ainsi qu’au paiement d’un euro symbolique en réparation du préjudice moral subi par PwC. Dans son arrêt, la Cour d’appel conclut notamment que la divulgation par le requérant des documents couverts par le secret professionnel avait causé à son employeur un préjudice supérieur à l’intérêt général. M. Halet forma un pourvoi en cassation qui fut rejeté en janvier 2018.
Griefs, procédure et composition de la Cour
Invoquant l’article 10 (liberté d’expression) de la Convention européenne des droits de l’homme, M. Halet soutient que sa condamnation pénale constitue une ingérence disproportionnée dans l’exercice de son droit à la liberté d’expression.
La requête a été introduite devant la Cour européenne des droits de l’homme le 7 mai 2018.
Par un arrêt rendu le 11 mai 2021 la Cour a conclu, à la majorité (cinq voix contre deux), à la non-violation de l’article 10 (liberté d’expression) de la Convention européenne des droits de l’homme.
Le 18 juin 2021 le requérant a demandé le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre conformément à l’article 43 de la Convention (renvoi devant la Grande Chambre).
Le 6 septembre 2021, le collège de la Grande Chambre a accepté ladite demande. Une audience a eu lieu le 2 février 2022.
Plusieurs organisations non gouvernementales ont été autorisées à intervenir dans la procédure
écrite en tant que tierces intervenantes.
L’arrêt a été rendu par la Grande Chambre de 17 juges, composée en l’occurrence de :
Robert Spano (Islande), président,
Jon Fridrik Kjølbro (Danemark),
Síofra O’Leary (Irlande),
Georges Ravarani (Luxembourg),
Yonko Grozev (Bulgarie),
Mārtiņš Mits (Lettonie),
Stéphanie Mourou-Vikström (Monaco),
Pauliine Koskelo (Finlande),
Tim Eicke (Royaume-Uni),
Péter Paczolay (Hongrie),
Lado Chanturia (Géorgie),
Ivana Jelić (Monténégro),
Arnfinn Bårdsen (Norvège),
3
Raffaele Sabato (Italie),
Mattias Guyomar (France),
Ioannis Ktistakis (Grèce),
Andreas Zünd (Suisse),
ainsi que de Abel Campos, greffier adjoint.
Décision de la Cour
Article 10
La Cour rappelle que la protection dont jouissent les lanceurs d’alerte au titre de l’article 10 de la Convention repose sur la prise en compte de caractéristiques propres à l’existence d’une relation de travail : d’une part, le devoir de loyauté, de réserve et de discrétion inhérent au lien de subordination qui en découle ainsi que, le cas échéant, l’obligation de respecter un secret prévu par la loi ; d’autre part, la position de vulnérabilité notamment économique vis-à-vis de la personne, de l’institution publique ou de l’entreprise dont ils dépendent pour leur travail, ainsi que le risque de subir des représailles de la part de celle-ci.
Elle rappelle aussi que la notion de « lanceur d’alerte » ne fait pas l’objet, à ce jour, d’une définition juridique univoque et qu’elle s’est toujours abstenue d’en consacrer une définition abstraite et générale. Ainsi, la question de savoir si une personne qui prétend être un lanceur d’alerte bénéficie de la protection offerte par l’article 10 de la Convention appelle un examen qui s’effectue, non de manière abstraite, mais en fonction des circonstances de chaque affaire et du contexte dans lequel elle s’inscrit.
À cet égard, la Cour décide de faire application de la grille de contrôle qu’elle a définie dans l’arrêt Guja c. Moldova pour apprécier si, et le cas échéant, dans quelle mesure, l’auteur d’une divulgation portant sur des informations confidentielles obtenues dans le cadre d’une relation professionnelle, peut bénéficier de la protection de l’article 10 de la Convention. Par ailleurs, consciente des évolutions survenues depuis l’adoption de l’arrêt Guja, en 2008, qu’il s’agisse de la place qu’occupent désormais les lanceurs d’alerte dans les sociétés démocratiques et du rôle de premier plan qu’ils sont susceptibles de jouer, la Cour estime opportun de confirmer et consolider les principes qui se dégagent de sa jurisprudence en matière de protection des lanceurs d’alerte, en en affinant les critères de mise en oeuvre, à la lumière du contexte européen et international actuel.
En l’espèce, faisant application de ces critères, la Cour note ce qui suit.
1) L’existence ou non d’autres moyens pour procéder à la divulgation : la Cour considère que lorsque sont en cause des agissements ou des pratiques portant sur les activités habituelles de l’employeur et qui n’ont, en soi, rien d’illégal, le respect effectif du droit de communiquer des informations présentant un intérêt public suppose d’admettre le recours direct à une voie externe de divulgation, se traduisant, le cas échéant, par la saisine des médias. C’est d’ailleurs ce que la Cour
d’appel a admis, en l’espèce.
2) L’authenticité de l’information divulguée : la Cour note que le requérant a transmis au journaliste des documents dont « l’exactitude et l’authenticité » ont été constatées par la Cour d’appel et ne sont aucunement remises en cause. Ce critère est donc satisfait.
3) La bonne foi du requérant : il ressort de l’arrêt de la Cour d’appel que le requérant n’a pas agi « dans un but de lucre ou pour nuire à son employeur ». Le critère de la bonne foi a donc été respecté au moment de procéder à la divulgation litigieuse.
4) L’intérêt public que présente l’information divulguée : la Cour rappelle que les informations divulguées n’étaient pas seulement de nature à « interpeller ou scandaliser » comme le retint la Cour d’appel, mais apportaient bien un éclairage nouveau, dont il convient de ne pas minorer l’importance dans le contexte d’un débat sur « l’évitement fiscal, la défiscalisation et l’évasion fiscale », en fournissant des renseignements à la fois sur le montant des bénéfices déclarés par les multinationales concernées, sur les choix politiques opérés au Luxembourg en matière de fiscalité des entreprises, ainsi que sur leurs incidences en termes d’équité et de justice fiscale, à l’échelle européenne et, en particulier en France.
Par ailleurs, le poids de l’intérêt public attaché à la divulgation litigieuse ne peut être évalué indépendamment de la place qu’occupent désormais les multinationales de dimension mondiale tant sur le plan économique que social. En effet, les informations relatives aux pratiques fiscales des multinationales telles que celles dont les déclarations ont été rendues publiques par le requérant permettaient indéniablement de nourrir le débat en cours – déclenché par les premières divulgations de l’auditeur (A.D.) – sur l’évasion fiscale, la transparence, l’équité et la justice fiscale. Il ne fait aucun doute qu’il s’agit là d’informations dont la divulgation présente un intérêt public pour l’opinion – aussi bien au Luxembourg, dont la politique fiscale était directement en cause, qu’en Europe et dans les autres États dont les recettes fiscales pouvaient se trouver affectées par les pratiques révélées.
5) Les effets dommageables de la divulgation : la Cour estime que le préjudice subi par l’employeur du requérant ne saurait s’apprécier au regard des seuls impacts financiers éventuels de la divulgation litigieuse. Elle admet en effet que PwC a subi un certain préjudice de réputation. Toutefois, la Cour souligne que la réalité de ce préjudice n’apparaît pas avérée sur le long terme. Ensuite, elle estime nécessaire de rechercher si d’autres intérêts ont été affectés par la divulgation litigieuse. Elle souligne qu’en l’espèce n’est pas seulement en cause la divulgation d’informations par le requérant mais également la soustraction frauduleuse de leur support et qu’à ce titre doit aussi être pris en compte l’intérêt public à prévenir et sanctionner le vol. En outre, la Cour souligne que le respect du secret professionnel présente indéniablement un intérêt public et que le requérant se trouvait tenu au secret professionnel qui prévaut dans le domaine des activités exercées par son employeur, auquel il se trouvait astreint dans l’exercice de son activité professionnelle en vertu de la loi.
Certes, aux yeux de la Cour, les éléments d’appréciation retenus par la Cour d’appel en ce qui concerne le préjudice subi par PwC, à savoir « l’atteinte à l’image » et « une perte de confiance » sont incontestablement pertinents. Pour autant, la Cour d’appel s’est contentée de les formuler en termes généraux, sans apporter de précision permettant de comprendre pourquoi elle a finalement estimé qu’un tel préjudice, dont la nature et la portée n’ont au demeurant pas été déterminées de manière circonstanciée, était « supérieur à l’intérêt général » que présentait la divulgation des informations litigieuses. La Cour en déduit que la Cour d’appel n’a pas placé, dans le second plateau de la balance, l’ensemble des effets dommageables qu’il convenait de prendre en compte.
En ce qui concerne l’opération de mise en balance effectuée par les juridictions internes, la Cour estime que celle-ci ne répond pas aux exigences qu’elle a définies à l’occasion de la présente affaire.
En effet, d’une part, la Cour d’appel s’est livrée à une interprétation trop restrictive de l’intérêt public que revêtaient les informations divulguées. D’autre part, elle n’a pas intégré, dans le second plateau de la balance, l’ensemble des effets dommageables de la divulgation en cause, mais s’est seulement attachée au préjudice subi par l’employeur.
Dès lors, procédant elle-même à la mise en balance des intérêts en jeu, la Cour rappelle qu’elle a reconnu que les informations révélées par le requérant présentaient indéniablement un intérêt public. Dans le même temps, la circonstance que la divulgation litigieuse s’est faite au prix d’un vol de données et de la violation du secret professionnel qui liait le requérant ne pouvait être ignorée.
Cependant, la Cour relève l’importance relative des informations divulguées, eu égard à leur nature et à la portée du risque s’attachant à leur révélation. Au vu des constats opérés quant à l’importance, à l’échelle tant nationale qu’européenne, du débat public sur les pratiques fiscales des multinationales auquel les informations divulguées par le requérant ont apporté une contribution essentielle, la Cour estime que l’intérêt public attaché à la divulgation de ces informations l’emporte sur l’ensemble des effets dommageables.
6) La sévérité de la sanction, la Cour note qu’après avoir été licencié par son employeur, le requérant a été poursuivi pénalement et condamné au terme d’une procédure pénale ayant connu un fort retentissement médiatique, à une peine d’amende de 1000 euros. Eu égard à la nature des sanctions infligées et à la gravité des effets de leur cumul, en particulier de leur effet dissuasif au regard de la liberté d’expression du requérant ou de tout autre lanceur d’alerte, lequel n’apparaît aucunement avoir été pris en compte par la Cour d’appel et, compte tenu surtout du résultat auquel elle est parvenue au terme de la mise en balance des intérêts en jeu, la Cour considère que la condamnation pénale du requérant ne peut être considérée comme proportionnée au regard du but légitime poursuivi.
En conclusion, la Cour, après avoir pesé les différents intérêts ici en jeu et pris en compte la nature, la gravité et l’effet dissuasif de la condamnation pénale infligée au requérant, conclut que l’ingérence dans le droit à la liberté d’expression de ce dernier, en particulier de son droit de communiquer des informations, n’était pas « nécessaire dans une société démocratique ». Il y a donc eu violation de l’article 10 de la Convention.
Satisfaction équitable (Article 41)
La Cour dit que le Luxembourg doit verser au requérant 15 000 euros (EUR) pour dommage moral et 40 000 EUR pour frais et dépens.
Opinions séparées
Le texte de l’opinion dissidente commune aux juges Ravarani, Mourou-Vikström, Chanturia et Sabato ainsi que la déclaration de dissentiment du juge Kjølbro sont joints à l’arrêt.
L’arrêt existe en anglais et français.
Rédigé par le greffe, le présent communiqué ne lie pas la Cour. Les décisions et arrêts rendus par la Cour, ainsi que des informations complémentaires au sujet de celle-ci, peuvent être obtenus sur www.echr.coe.int

09.02.23
Communiqué de presse du Greffe de la Cour : CEDH 043 (2023) 09.02.2023
Les sanctions prononcées par le CSA à l’encontre la chaîne de télévision C8 en raison de séquences diffusées dans l’émission « Touche pas à mon poste » n’ont pas méconnu sa liberté d’expression
Dans son arrêt de chambre , rendu ce jour dans l’affaire C8 (Canal 8) c. France (requêtes n o 58951/18 et n° 1308/19), la Cour européenne des droits de l’homme dit, à l’unanimité, qu’il y a eu : Non-violation de l’article 10 (liberté d’expression) de la Convention européenne des droits de l’homme.
Les deux requêtes concernent deux sanctions prononcées contre la société de télévision C8 par le conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) en raison du contenu de séquences diffusées dans l’émission « Touche pas à mon poste ».
La Cour relève tout d’abord que ces séquences s’inscrivaient dans le cadre d’une émission de pur divertissement qui n’a d’autre ambition que d’attirer, dans un but commercial, le plus large public possible et en déduit que l’État défendeur disposait d’une large marge d’appréciation pour juger de la nécessité de sanctionner la société requérante, au titre de la protection des droits d’autrui. La Cour indique ensuite qu’elle ne voit aucune raison de se départir de l’appréciation du CSA et du Conseil d’État, saisi de recours en annulation contre les sanctions litigieuses, qui repose sur des motifs pertinents et suffisants.
En ce qui concerne la première séquence, elle considère que la mise en scène du jeu obscène entre l’animateur vedette et une de ses chroniqueuses ainsi que les commentaires graveleux que celui-ci a suscités véhiculent une image stéréotypée négative et stigmatisante des femmes.
En ce qui concerne la seconde séquence, elle considère que, tant par son principal objet que par l’attitude de l’animateur vedette et la situation dans laquelle il a délibérément placé les personnes qu’il avait piégées, le canular téléphonique véhiculait une image stéréotypée négative et stigmatisante des personnes homosexuelles.
S’agissant enfin de la lourdeur des sanctions infligées, la Cour souligne que leur caractère pécuniaire est particulièrement adapté, en l’espèce, à l’objet purement commercial des comportements qu’elles répriment et que leur gravité doit être relativisée à la lumière de l’échelle des sanctions prévue la loi du 30 septembre 1986.
En conclusion, les séquences litigieuses n’étant porteuses d’aucune information, opinion ou idée, au sens de l’article 10 de la Convention, n’ayant en aucune manière contribué à un débat d’intérêt général, et étant attentatoires à l’image des femmes, pour l’une, et de nature à stigmatiser les personnes homosexuelles et à porter atteinte à la vie privée, pour l’autre, la Cour considère, eu égard aussi à leur impact, en particulier auprès d’un jeune public, aux manquements répétés de la société requérante à ses obligations déontologiques, aux garanties procédurales dont elle a bénéficié dans l’ordre interne, et à la large marge d’appréciation dont disposait l’État défendeur, que les sanctions prononcées contre cette dernière les 7 juin et 26 juillet 2017 n’ont pas méconnu son droit à la liberté d’expression.

02.02.2023
Communiqué du Greffe de la Cour CEDH 034 (2023)
Rocchia c. France (no 74530/17)
La requérante, Mme Patricia Rocchia, est une ressortissante française, née en 1961 et résidant à Antibes.
Son époux fit appel en son nom d’une condamnation à deux ans d’emprisonnement prononcée à son encontre.
Toutefois, ce recours fut déclaré irrecevable au motif qu’il n’avait pas produit de pouvoir spécial, alors même qu’il résultait des mentions de l’acte d’appel qu’il disposait d’une
procuration.
Invoquant l’article 6 § 1 (droit à un procès équitable) de la Convention, la requérante soutient que l’irrecevabilité de son appel a porté une atteinte disproportionnée à son droit d’accès à un tribunal, et se plaint d’un excès de formalisme.
Violation de l’article 6 § 1.

19.01.23
Communiqué de presse du Greffe de la Cour : CEDH 020 (2022)
La Cour juge que l’assignation à résidence du requérant, prise dans le cadre de l’état d’urgence déclaré en 2015, ne viole pas la liberté de circulation
"Dans son arrêt de chambre, rendu ce jour, après une audience publique tenue le 18 octobre 2022, dans l’affaire Pagerie c. France (requête no 24203/16), la Cour européenne des droits de l’homme dit, à l’unanimité, qu’il y a eu :
Non-violation de l’article 2 du Protocole n° 4 (liberté de circulation) de la Convention européenne des droits de l’homme
L’affaire concerne l’assignation à résidence sur le territoire de la commune d’Angers, ordonnée, par le ministre de l’Intérieur, à l’égard du requérant dans le cadre de l’état d’urgence déclaré après la vague d’attentats terroristes commise sur le territoire français en novembre 2015. Celui-ci fut soumis à des obligations strictes, pendant plus de treize mois, comprenant l’obligation de se présenter trois fois par jour dans un commissariat et l’interdiction de quitter son domicile entre 20 h et 6 h.
A titre liminaire, la Cour souligne qu’elle est pleinement consciente des difficultés de la lutte contre le terrorisme et qu’en la matière, la Convention impose aux États de concilier la protection de la population avec la garantie effective des droits protégés. Dans le cadre de son contrôle, la Cour accorde une attention particulière à la nature et à la portée concrète des garanties contre les abus et le risque d’arbitraire.
En l’espèce, la Cour considère tout d’abord que la loi du 3 avril 1955, qui constitue la base légale des mesures contestées, fixe avec une clarté suffisante l’étendue et les modalités du pouvoir d’appréciation conféré au ministre de l’Intérieur et prévoit des garanties adaptées contre les risques d’abus et d’arbitraire.
S’agissant ensuite de la nécessité de l’assignation à résidence, la Cour relève que le ministre de l’Intérieur s’est fondé sur un ensemble d’éléments permettant de caractériser un « comportement » du requérant de nature à susciter des raisons sérieuses de penser qu’il constituait une menace pour la sécurité et l’ordre publics, dans une perspective de prévention du passage à l’acte terroriste. Elle note que la mesure a fait l’objet de réexamens réguliers, la situation personnelle du requérant ayant effectivement été réétudiée à huit reprises par le ministre de l’Intérieur. Par ailleurs, la Cour relève que l’ensemble des décisions administratives prises à l’encontre du requérant a fait l’objet d’un contrôle juridictionnel, permettant à celui-ci de faire valoir ses arguments devant les juridictions internes, qui ont réexaminé avec sérieux la justification de son assignation à résidence lors de chacune de ses prolongations.
Compte tenu du besoin impérieux que constitue la prévention d’actes terroristes, du comportement du requérant, des garanties procédurales dont il a effectivement bénéficié, et du réexamen périodique de la nécessité de la mesure d’assignation à résidence, la Cour conclut que cette mesure n’était pas disproportionnée. Il n’y a donc pas eu violation de l’article 2 du Protocole n° 4.
Principaux faits
Le requérant, M. David Pagerie, est un ressortissant français né en 1988 et résidant à Verrières-en- Anjou. À la suite des attentats perpétrés à Saint-Denis et à Paris le 13 novembre 2015, l’état d’urgence fut déclaré et la France notifia au Secrétaire général du Conseil de l’Europe qu’elle entendait exercer le droit de dérogation prévu à l’article 15 de la Convention.
M. Pagerie fut assigné à résidence, entre le 22 novembre 2015 et le 11 juin 2017, par cinq arrêtés successifs du ministre de l’Intérieur. Il fut incarcéré du 5 août 2016 au 18 janvier 2017, puis du 11 juin au 15 novembre 2017. Il fit ensuite l’objet d’une mesure individuelle de contrôle administratif et de surveillance (MICAS).
M. Pagerie exerça de multiples recours à l’encontre de ces décisions. Tous furent rejetés par les juridictions administratives.
Il présenta ainsi deux référés-suspension. Sa première requête fit l’objet d’un non-lieu à statuer le 29 février 2016. La seconde fut rejetée le 11 mars 2016. Le requérant ne se pourvut pas en cassation contre ces ordonnances.
Il sollicita par ailleurs la suspension de l’exécution des cinq arrêtés ordonnant son assignation à résidence en référé-liberté.
Ses requêtes furent rejetées par les tribunaux administratifs de Nantes et de Rennes par quatre ordonnances en date des 29 janvier et 4 juillet 2016, et des 26 janvier et 10 avril 2017. Le requérant releva appel des ordonnances du 29 janvier 2016 et du 10 avril 2017.
Le juge des référés du Conseil d’État rejeta ces deux appels, par des ordonnances du 10 février 2016 et du 19 mai 2017.
Sur le fond, M. Pagerie demanda l’annulation pour excès de pouvoir des arrêtés ordonnant son assignation à résidence, ainsi que l’annulation d’une décision de refus d’aménagement de son obligation de pointage rendue le 30 mars 2017 par sept requêtes distinctes. Ces requêtes furent jointes et rejetées par un jugement du tribunal administratif de Nantes du 13 février 2018. Le requérant releva appel de ce jugement par sept requêtes distinctes.
Par une ordonnance du 27 août 2018, le président de la cour administrative d’appel de Nantes rejeta ces requêtes d’appel comme étant manifestement dépourvues de fondement. M. Pagerie ne se pourvut pas en cassation contre cette ordonnance.
M. Pagerie présenta enfin trois référés-liberté à l’encontre de la MICAS ultérieurement prise à son égard. Ces référés furent rejetés, de même que les appels dirigés contre les ordonnances de rejet.
Griefs, procédure et composition de la Cour
Le requérant invoque les articles 8 (droit au respect de la vie privée et familiale), 9 (droit à la liberté
de pensée, de conscience et de religion), et 14 (interdiction de la discrimination) de la Convention et l’article 2 du Protocole n° 4 (liberté de circulation). Il soutient en particulier que son assignation à résidence n’était pas fondée sur une base légale suffisamment prévisible et qu’elle était disproportionnée. En cours de procédure, le requérant a également soulevé des griefs similaires à l’égard de la MICAS dont il a ultérieurement fait l’objet.
Le Gouvernement soutient que ces dispositions n’ont pas été violées. À titre subsidiaire, il fait valoir que la France a valablement exercé le droit de dérogation prévu par l’article 15 de la Convention.
La requête a été introduite devant la Cour européenne des droits de l’homme le 26 avril 2016. Elle a été communiquée au Gouvernement 15 décembre 2020. La Cour a tenu audience le 18 octobre 2022.
L’arrêt a été rendu par une chambre de sept juges [...].
Décision de la Cour
Exceptions préliminaires
En premier lieu, la Cour juge que les griefs formulés à l’encontre de la MICAS mise en œuvre à l’égard du requérant à compter du 14 novembre 2017 sont tardifs et les déclare irrecevables.
En deuxième lieu, la Cour constate que le requérant n’a pas soulevé, ne serait-ce qu’en substance, les griefs qu’il tire des articles 8, 9 et 14 de la Convention dans le cadre des appels qu’il a formés devant le Conseil d’État en matière de référé-liberté, alors qu’il lui était possible d’invoquer une atteinte au droit au respect de sa vie privée et familiale, une atteinte à sa liberté de culte ou une discrimination dans l’exercice de celle-ci.
Compte tenu de l’absence de pourvoi en cassation dans le cadre des recours en excès de pouvoir, la Cour en conclut que ces griefs doivent être rejetés pour non-épuisement des voies de recours internes.
En troisième lieu, la Cour estime que le requérant a valablement épuisé les voies de recours internes en soutenant devant le Conseil d’Etat statuant en appel en matière de référé-liberté son grief tiré de la violation de l’article 2 du Protocole no 4. Elle relève en particulier que le droit interne facilite l’accès au juge des référés pour ce qui concerne la contestation des assignations à résidence dans le cadre de l’état d’urgence, l’urgence à statuer étant présumée, et que la procédure de référé-liberté permet de remédier à bref délai aux atteintes graves et manifestement illégales portées à une liberté fondamentale en la matière. Elle considère dès lors que le requérant n’avait pas à exercer son recours pour excès de pouvoir jusqu’en cassation et rejette donc l’exception de non-épuisement présentée par le Gouvernement sur ce point.
Article 2 du Protocole no 4
Dans le cadre de l’examen de la présente requête, la Cour considère qu’elle doit d’abord rechercher si la mesure litigieuse est compatible avec les droits et libertés garantis par la Convention et invoqués par le requérant. Si tel est le cas, elle n’aura pas à statuer sur la validité de la dérogation prévue par l’article 15.
À titre liminaire, la Cour souligne qu’il lui revient de tenir compte du contexte particulier dans lequel s’inscrit cette affaire, marqué par la vague d’attentats terroristes commise sur le territoire français à compter de 2015. Pleinement consciente des difficultés de la lutte contre le terrorisme, elle indique que celle-ci doit s’exercer dans le respect des obligations prises au titre de la Convention, en conciliant la nécessité de protéger la population avec la garantie des droits. Dans le cadre de son contrôle, la Cour estime devoir prêter une attention particulière à la nature et à la portée concrète des garanties contre les abus et le risque d’arbitraire dans de telles circonstances.
Ayant examiné les modalités de la mesure (interdiction de quitter le territoire de la commune d’Angers, astreinte à domicile de 20 h à 6 h, obligation de se présenter trois fois par jour au commissariat, durée cumulée), la Cour considère qu’elle s’analyse en une atteinte à la liberté de circulation.
La mesure litigieuse ayant fortement restreint la liberté de circulation du requérant, la Cour doit rechercher si cette ingérence était prévue par la loi, si elle poursuivait un but légitime et si elle était nécessaire dans une société démocratique.
La Cour relève tout d’abord que la base légale de l’assignation à résidence était l’article 6 de la loi du 3 avril 1955, tel qu’interprété par le Conseil d’État et par le Conseil constitutionnel.
En ce qui concerne la précision des notions employées par le législateur, contestée par le requérant, la Cour rappelle que le niveau de précision de la législation interne dépend dans une large mesure du contenu de la loi en question, du domaine qu’elle est censée couvrir et du nombre et du statut de ceux à qui elle est adressée. En l’espèce, les dispositions litigieuses ne peuvent être appliquées que dans le cadre de l’état d’urgence, et dans les zones où celui-ci reçoit application. Or, en droit interne, l’état d’urgence ne peut être déclaré que dans des situations exceptionnelles, strictement définies par la loi. La législation en cause, qui déroge au droit commun, a donc vocation à ne s’appliquer qu’à titre exceptionnel, dans un espace et un temps limités.
La Cour observe ensuite que l’édiction d’une mesure d’assignation à résidence est subordonnée à l’existence de « raisons sérieuses » de penser qu’un comportement donné constitue une menace, et qu’une telle mesure ne peut être prononcée sur la base de simples soupçons. La Cour note que ce seuil d’exigence est encore réhaussé lorsque la durée de la mesure excède douze mois, la menace requise devant alors avoir « une particulière gravité ». La Cour note en outre que la préservation de la « sécurité nationale » et de « la sûreté publique » ainsi que le maintien de « l’ordre public » figurent expressément parmi les buts légitimes susceptibles de justifier une ingérence les droits garantis par l’article 2 du Protocole no 4. Elle juge irréaliste d’exiger que le législateur national dresse une liste exhaustive des comportements susceptibles de justifier la mise en œuvre de pouvoirs de police administrative. Selon une jurisprudence bien établie, le droit doit savoir s’adapter aux changements de situation et ne peut en aucun cas prévoir toutes les hypothèses, ce pourquoi beaucoup de lois se servent-elles de formules plus ou moins vagues, dont l’interprétation et l’application dépendent de la pratique. Pour autant, la Cour souligne qu’une telle législation d’exception ne saurait, en aucun cas, s’avérer contraire au principe de prééminence du droit et estime qu’il lui revient dès lors d’exercer un contrôle méticuleux des garanties contre le risque d’arbitraire prévues par le droit interne, afin de déterminer si celles-ci encadrent et limitent efficacement le pouvoir d’appréciation conféré à l’autorité administrative.
En ce qui concerne l’existence de garanties contre le risque d’arbitraire, la Cour relève en premier lieu que la mise en œuvre de l’état d’urgence est strictement encadrée par le droit interne, celui-ci étant périodiquement prorogé par le législateur après avis du Conseil d’Etat et s’exécutant sous le contrôle du Parlement. En deuxième lieu, elle constate que le régime de la mesure d’assignation à résidence est nettement défini en droit interne. En troisième lieu, la Cour observe que les mesures d’assignations à résidence peuvent être contestées devant le juge des référés par la voie du référé-liberté, que la Cour juge effective, le contrôle du juge des référés portant à la fois sur la légalité et la proportionnalité de la mesure d’assignation à résidence. La Cour considère par conséquent que les dispositions en cause, telles qu’interprétées par les juridictions internes, fixent avec une clarté suffisante l’étendue et les modalités du pouvoir d’appréciation conféré au ministre de l’Intérieur et prévoient des garanties adaptées contre les risques d’abus et d’arbitraire. Elle en conclut que cette base légale était prévisible.
En ce qui concerne la légitimité des buts poursuivis, la Cour considère que les objectifs poursuivis par l’ingérence litigieuse, qui tendent à la préservation de la sécurité nationale et de la sûreté publique ainsi qu’au maintien de l’ordre public, étaient légitimes.
Enfin, en ce qui concerne la nécessité de l’ingérence litigieuse, la Cour constate que l’ingérence qui a été portée à la liberté de circulation du requérant a été d’une particulière intensité. En outre, celle-ci a eu une durée cumulée de plus de treize mois.
En l’espèce, l’assignation à résidence a initialement été fondée sur la « radicalisation religieuse » du requérant, son tempérament violent et ses antécédents pénaux, ainsi que sur le fait qu’il ait tenté d’entrer en contact avec le responsable d’une organisation islamiste favorable au jihad armé, prônant l’instauration du califat et l’application de la charia en France.
La Cour indique d’abord qu’une telle restriction à la liberté de circulation ne saurait se fonder exclusivement sur les convictions ou sur la pratique religieuse d’un individu. Elle rappelle cependant que l’article 9 de la Convention ne protège pas n’importe quel acte motivé ou inspiré par une religion ou conviction.
Elle relève ensuite que le ministre de l’Intérieur s’est fondé sur un ensemble d’éléments permettant de caractériser un « comportement » de nature à susciter des raisons sérieuses de penser qu’il constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics, dans une perspective de prévention du passage à l’acte terroriste, comme le Conseil d’État s’en est assuré. Par la suite, l’assignation à résidence du requérant et ses modalités ont fait l’objet de réexamens réguliers, sa situation personnelle ayant effectivement été réétudiée à huit reprises par le ministre de l’Intérieur.
Par ailleurs, la Cour relève que l’ensemble des décisions administratives prises à l’encontre du requérant ont fait l’objet d’un contrôle juridictionnel. Le requérant, auquel l’aide juridictionnelle a systématiquement été accordée, a effectivement été en mesure de faire valoir ses arguments devant les juridictions internes qui ont réexaminé avec sérieux la justification de son assignation à résidence lors de chacune de ses prolongations. S’agissant de la prise en compte de notes blanches émanant des services de renseignement, la Cour constate que celle-ci était entourée de garanties suffisantes : en effet, ces notes ont été soumises au débat contradictoire dans des conditions permettant effectivement au requérant d’avoir connaissance des éléments fondant son assignation à résidence et de demander des éclaircissements. Ces éléments n’ont, pour une large partie, pas été contestés par le requérant qui a été absent à plusieurs audiences et n’a jamais invité les juridictions internes à faire usage de leurs pouvoirs d’instruction. Pour leur part les juridictions internes ont estimé que les faits relatés étaient suffisamment précis et circonstanciés. Dans ces conditions, la Cour déduit que le requérant a, dans les circonstances de l’espèce, bénéficié de garanties procédurales appropriées. Compte tenu du besoin impérieux que constitue la prévention d’actes terroristes, du comportement du requérant, des garanties procédurales dont il a effectivement bénéficié, et du réexamen périodique de la nécessité de la mesure d’assignation à résidence, la Cour conclut que celle-ci n’était pas disproportionnée.
Il n’y a donc pas eu violation de l’article 2 du Protocole no 4. Une telle conclusion la dispense en l’espèce de statuer sur la validité de l’exercice, par la France, du droit de dérogation prévu par l’article 15.
L’arrêt n’existe qu’en français
Rédigé par le greffe, le présent communiqué ne lie pas la Cour."