Condamnation de la politique migratoire française
Par trois arrêts rendus le même jour, le 10 juillet 2014, la Cour européenne des droits de l'Homme a condamné la France pour sa politique trop restrictive en matière de regroupement familial, sur le fondement du droit de chacun à voir respecter sa vie privée et familiale (article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales).
Difficile de ne pas voir dans la conjonction de ces trois condamnations, une combinaison spécialement mise en valeur par le communiqué de presse émis le même jour par le Greffe de la Cour pour signaler ces trois arrêts, une volonté de la Cour de mettre en lumière sa critique des conséquences dramatiques que cette politique migratoire a pu avoir pour les demandeurs d'asiles et leurs familles.
C'est tout spécialement le cas pour M. Tanda-Muzinga et sa famille, que notre étude a eu l'honneur de défendre dans l'un de ces trois arrêts et que nous copions ci-dessous.
En bref, et en paraphrasant le résumé de la Cour, les faits sont les suivants :
Le requérant formula une première demande de regroupement familial en juin 2007 et reçut un accord de principe le 13 février 2008.
La famille du requérant fut convoquée au consulat de France à Yaoundé, lequel entreprit alors de chercher à vérifier les liens familiaux, ce dont il n’informa pas le requérant.
Cela aboutit à mettre en cause les actes de naissance des enfants Michelle et Benjamin en raison des informations uniquement approximatives que les autorités locales ont pu transmettre au consulat et à faire rejeter la demande de regroupement familial.
La femme du requérant saisit alors le Tribunal de grande instance de Yaoundé pour obtenir une rectification judiciaire de l’acte de naissance de leur fille Michelle.
Puis, en 2010, soit plus de deux ans après la demande de regroupement familial, l’acte de naissance de Benjamin put être authentifié également.
Le 21 septembre 2010, le requérant obtint enfin du juge des référés une ordonnance par laquelle celui-ci décida « qu’eu égard à la durée de la séparation entre le requérant et sa famille, la condition d’urgence est satisfaite » et enjoignit au ministre un nouvel examen de la demande de visa.
Le 19 novembre 2010, l’avocat du HCR/Cameroun fit parvenir le jugement reconstituant l’acte de naissance de la fille du requérant et les autorités consulaires délivrèrent les visas un mois plus tard.
Durant tout ce temps, d'abord faute d’explications et de motivations (pourtant requises par la loi française...), le requérant est resté quinze mois sans pouvoir comprendre de comprendre précisément ce qui s’opposait à sa demande de regroupement; puis, les autorités compétentes pourtant au courant de la demande de reconstitution de l’acte de naissance de l’enfant Michelle devant la juridiction camerounaise, n’ont pas jugé utile de s’enquérir du développement de cette démarche, se contentant de refuser systématiquement.
Enfin, à la suite d’une nouvelle vérification en 2010, les autorités française ont finalement estimé que le lien de filiation avec l'enfant Benjamin était établi, alors que celui-ci était contesté de la même manière que celui de sa fille Michelle.
Les difficultés rencontrées par le requérant pour participer utilement à la procédure et faire valoir les « autres éléments » de preuve des liens de filiation ont été particulièrement pénibles :
- le requérant avait déclaré ses liens familiaux dès les toutes premières démarches de sa demande d’asile et l’OFPRA, immédiatement à la suite de sa demande de regroupement, avait certifié la composition familiale dans des actes réputés authentiques,
- le HCR, convaincu de l’authenticité de leurs démarches, avait pris en charge le requérant puis sa famille depuis leur fuite de la République démocratique du Congo et jusqu’au dénouement de la procédure,
- le ministère des Affaires étrangères du Cameroun avait aussi donné son accord pour le document de voyage de l'épouse du requérant, dans lequel il était précisé qu’elle était accompagnée de ses trois enfants puis, par la suite, pour le document de voyage de de l’enfant Michelle,
- le requérant avait enfin apporté d’autres éléments qui prouvaient le maintien des contacts avec sa famille.
De cet ensemble, la Cour estime que "le requérant pouvait raisonnablement s’attendre à ce qu’ils attestent de sa vie familiale passée et à ce que les autorités nationales leur portent une attention suffisante."
C'était naïf.