Garde à vue d'un avocat venu au commissariat pour assister un client
François c. France - 23 avril 2015
Crédits : Communiqué de presse du Greffier de la Cour européenne des droits de l'homme, CEDH 140 (2015)
Pour la Cour européenne des droits de l'homme un avocat placé en garde à vue, à la fin de son intervention dans un commissariat, en sa qualité d’avocat, peut se plaindre d'une violation de l'article 5 §1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales.
La Cour des droits de l'Homme estime que le fait de placer l'avocat, Me François, en garde à vue et de le soumettre à une fouille intégrale et à un test d’alcoolémie excédait les impératifs de sécurité et établissait une intention étrangère à la finalité d’une garde à vue.
La Cour européenne des droits de l'Homme note également, d’une part, qu’il n’existait pas à l’époque des faits de réglementation autorisant une fouille allant au-delà des palpations de sécurité, et, d’autre part, que le test d’alcoolémie a été réalisé alors qu’il n’y avait aucun indice indiquant la commission par le requérant d’une infraction sous l’empire de l’alcool.
Principaux faits
Le requérant, Daniel François, est un ressortissant français né en 1944 et résidant à Suresnes (France). Il est avocat au barreau de Paris.
Dans la nuit du 31 décembre 2002 au 1er janvier 2003, Me François fut appelé au commissariat d’Aulnay-sous-Bois pour assister un mineur placé en garde à vue. Un différend sur les observations écrites qu’il voulait verser au dossier pour demander un examen médical de son client provoqua une altercation entre lui et l’officier de police judiciaire (OPJ) de permanence. Cette dernière, s’estimant
victime d’un comportement agressif de Me François, décida de le placer en garde à vue. Elle ordonna par ailleurs une fouille à corps intégrale, ainsi qu’un contrôle d’alcoolémie qui se révéla négatif.
Me François, qui contestait les déclarations des policiers présents, déposa plainte pour contester cette garde à vue et son déroulement. En parallèle, la Commission nationale de déontologie et de sécurité (CNDS) rendit un avis, après avoir auditionné le requérant et l’OPJ. Au vu des circonstances de l’espèce, elle recommanda la mise en place d’un groupe de travail aux ministères de l’Intérieur et de la Justice pour examiner un certain nombre de questions relatives à la garde à vue. Le 6 novembre 2008, la cour d’appel de Paris confirma l’ordonnance de non-lieu rendue par un juge d’instruction le 10 avril 2008, estimant qu’il n’y avait lieu ni de mettre en doute la version commune
des faits avancée par les policiers ni de penser que le substitut du procureur de la République avait été trompé par l’OPJ. La cour d’appel estima notamment que la fouille à corps et le contrôle d’alcoolémie étaient motivés par l’état d’agitation du requérant mentionné par les policiers et par la nuit de la Saint-Sylvestre propice aux libations. La Cour de cassation rejeta le pourvoi de Me François le 20 octobre 2010.
Griefs, procédure et composition de la Cour européenne des droits de l'homme
Invoquant l’article 5 § 1 (droit à la liberté et à la sûreté) de la Convention européenne des droits de l'Homme, le requérant soutenait que son placement en garde à vue ne reposait sur aucun motif légitime et que les conditions d’exécution de cette mesure révélaient son caractère arbitraire.
La requête a été introduite devant la Cour européenne des droits de l’homme le 20 avril 2011.
L’arrêt a été rendu par une chambre de sept juges composée de :
Mark Villiger (Liechtenstein), président,
Angelika Nußberger (Allemagne),
Boštjan M. Zupančič (Slovénie),
Ganna Yudkivska (Ukraine),
Vincent A. de Gaetano (Malte),
André Potocki (France),
Helena Jäderblom (Suède),
ainsi que de Claudia Westerdiek, greffière de section.
Décision de la Cour européenne des droits de l'Homme
Article 5 § 1
La Cour examine la question de savoir si la privation de liberté du requérant a été effectuée régulièrement et de manière non arbitraire, tout en vérifiant si le placement en garde à vue était nécessaire et proportionné.
La Cour attache de l’importance au cumul de deux circonstances dans cette affaire. D’une part, Me François intervenait au commissariat en sa qualité d’avocat, pour l’assistance d’une personne gardée
à vue. D’autre part, l’OPJ de permanence qui se déclarait personnellement victime du comportement du requérant, a elle-même décidé de le placer en garde à vue et de lui imposer en outre immédiatement non pas de simples palpations de sécurité, mais une fouille intégrale, ainsi qu’un contrôle d’alcoolémie n’étant pas justifié par des éléments objectifs.
La Cour note en particulier, d’une part, qu’il n’existait pas à l’époque des faits de réglementation autorisant une fouille allant au delà des palpations de sécurité, et, d’autre part, qu’un test d’alcoolémie a été réalisé alors qu’il n’y avait aucun indice indiquant la commission d’une infraction sous l’empire de l’alcool – l’état de tension du requérant et la circonstance que l’incident se soit déroulé la nuit de la Saint Sylvestre, « propice aux libations » selon la cour d’appel, ne constituant
pas de tels indices.
La Cour estime ainsi que le fait de placer Me François en garde à vue et de le soumettre à de telles mesures excédait les impératifs de sécurité et établissait une intention étrangère à la finalité d’une garde à vue
La Cour relève à ce sujet que tant le juge d’instruction dans son ordonnance de non-lieu du 10 avril 2008, que la CNDS dans son avis rendu en cette affaire, ont émis des réserves sur le fait qu’une décision de placement soit prise par l’OPJ se présentant comme victime. La CNDS a par ailleurs expressément recommandé d’examiner les circonstances soulevant des difficultés dans la présente affaire, en vue notamment non seulement de rappeler aux services de police qu’un contrôle d’alcoolémie n’est justifié que lorsqu’il semble que l’infraction ait été « commise ou causée sous l’empire d’un état alcoolique », mais également de modifier le code de procédure pénale pour rendre obligatoire l’examen médical d’un gardé à vue à la demande d’un avocat et de mener une réflexion sur l’éventuelle protection à accorder aux avocats dans l’exercice de leurs fonctions. Enfin, la Cour constate que le recours à la fouille à corps est désormais encadré, depuis la loi no 2011-392 du 14 avril 2011.
Par conséquent, dans ces circonstances, la Cour européenne des droits de l'homme estime que le placement en garde à vue de l'avocat n’était ni justifié ni proportionné et que sa privation de liberté n’était pas conforme aux exigences de l’article 5 § 1 de la Convention européenne des droits de l'Homme.